S'il fallait expliquer le succès - indéniable... - de Patrick Sénécal, il faudrait regarder du côté du cinéma. Prendre en exemple ces films d'horreur interchangeables qui prennent l'affiche chaque mois, ou presque, et qui se ressemblent tous. Qui rejoignent tous aussi, plus ou moins, un même public, dédié et convaincu, souvent satisfait, parfois mécontent, mais toujours prêt à donner une seconde chance. Parce que ces films, comme les romans de Sénécal, font appel aux instincts primaires de l'humain (car tout spectateur est d'abord humain), dont la peur, la curiosité morbide, l'identification et la vie par procuration. 5150 rue des Ormes peut donc se permettre, scénaristiquement parlant, diverses contractions et retors au nom de l'exploration psychologique (ou physique, dans le cas de Les 7 jours du Talion, attendu en février) de personnages auxquels on est appelé à s'identifier.
C'est d'ailleurs là qu'on trouvera la plus grande qualité au film : les personnages, une fois bien cernés, ne se trahissent pas, même lors de situations plutôt absconses. Le grand mérite du réalisateur Éric Tessier, c'est de s'être assuré que leurs gestes ne semblent pas, ou rarement, incongrus ou improbables. Parce qu'ils le sont, en vérité, et que le respect qu'on leur porte ainsi que l'efficacité des comédiens permettent de les maintenir du côté du plausible. Ce qui est déjà un exploit, qui serait d'autant plus valeureux si le film était resseré davantage.
Un étudiant en cinéma, Yannick Bérubé, se blesse lors d'un chute à vélo dans la rue des Ormes. Trouvant refuge chez les Beaulieu, il se retrouve prisonnier du père, Jacques, un champion d'échecs qui mène un combat meurtrier contre les Non-justes. Séquestré pendant plusieurs mois, Yannick côtoie la famille Beaulieu au quotidien, dont la mère, Maude, soumise et dévote, et l'adolescente rebelle aux passions violentes. Afin de déterminer s'il doit le libérer, Jacques Beaulieu lui propose de l'affronter aux échecs.
5150 rue des Ormes n'est certainement pas effrayant, réglons d'abord ça. Car dès que les personnages ont atteint les limites de la lutte physique (le dominant et le dominé), ils amorcent une bataille psychologique où chacun vise la faiblesse de l'autre. Ils y sont d'ailleurs fort habiles, et on se réjouit de ce revirement de situation qui semble bien plus crédible qu'une obstination à vouloir se battre aux poings. C'est d'ailleurs cette lutte, très serrée, qui fait la qualité du film. Quand il s'en éloigne (avec une cassette perdue, par exemple, ou dans d'empressées hallucinations), le film perd de sa tension interne autrement bien construite.
Les comédiens, à commencer par Normand D'Amour, démontrent une force qui était nécessaire pour que tout ne s'effondre pas vu les nombreuses circonstances sine qua non de l'installation du noeud dramatique (rue tranquille, voisins sourds et muets, etc.). Marc-André Grondin, qui pourrait démontrer plus de prestance, s'avère tout de même efficace. On attend de le voir relever un plus grand défi, comme le fait brillamment Sonia Vachon dans le rôle de Maude. À la limite de l'improbable sans jamais y tomber.
Dommage cependant parce que la finale, qui portait en elle une étrange force dramatique intrinsèque dans cette obsession de Yannick pour la partie d'échecs incomplète, mise sur une erreur dans le jeu de l'adversaire pour gagner la partie, ce qui, aux échecs, est une incongruité logique. Le tennis, les sports en général, la vie si vous voulez, ce sont des jeux d'erreur, mais pas les échecs. Le cinéma aussi, en ce sens, est un jeu d'erreur, et 5150 rue des Ormes en évite plusieurs pour s'avérer être un film efficace.