François Delisle mène depuis 1994 une carrière de réalisateur indépendant dans l'anonymat habituellement lié à ce type de vocation ingrate. Le métier de réalisateur est profondément sous-estimé, au Québec, et on néglige régulièrement l'importance du réalisateur sur l'allure, le ton, les thématiques et le succès d'un film. C'est d'autant plus éloquent lorsque le réalisateur en question est scénariste et producteur de son long métrage. Cela n'en garantit pas cependant un accès au public, qui se fait particulièrement pointilleux quand il s'agit de cinéma « québécois », dans le sens péjoratif du terme qu'on lui prêtait encore il y a une dizaine d'années.
Alors qu'elle est férocement battue par son mari Bruno, Catherine prend la décision de le quitter pour de bon, avec son fils adolescent. Afin qu'il ne les retrouve pas, elle accepte l'aide d'un mystérieux groupe de femmes qui l'installe dans une nouvelle ville, et qui lui trouve un emploi. Son fils vit difficilement ce changement, qu'il sait pourtant nécessaire. Tandis qu'elle s'acclimate à sa nouvelle vie, Catherine, qui porte maintenant le nom de Sophie, gagne la force pour confronter son mari.
Dans le rôle principal, Evelyne Rompré démontre une véritable force tranquille, elle qui apporte encore une certaine fraîcheur à un personnage au cinéma parce qu'elle ne fait pas partie de ces acteurs sur-utilisés (on l'a aussi vue dans Histoire de famille, en 2005). Un avantage non négligeable qui lui permet d'émouvoir à cause de son naturel et de cette crédibilité qu'elle apporte au rôle. Cela n'a rien à voir avec le talent en tant que tel, car même Marc Béland (qui était justement en vedette dans Toi, précédent film du réalisateur) - un acteur fort efficace au demeurant - porte trop de rôles en lui pour que son personnage de mari violent soit véritablement crédible lorsqu'il apparaît à l'écran. Heureusement, cela n'affecte pas la qualité d'ensemble du film.
La caméra intuitive et intrusive de Delisle évite sagement les artifices et s'intéresse au quotidien à rebâtir de cette femme blessée plutôt qu'à mener un combat social (qui ne ressasserait de toute façon que des évidences : battre sa femme, c'est mal, toujours). La grande qualité de 2 fois une femme est d'éviter le mélodrame, même lorsqu'il n'a pas le choix de montrer cette femme battue. Il ne le fait pas pour choquer, mais avec une empathie qu'il transmet bien.
Autre léger problème : cette fuite semble parfois prendre des tournures improbables, alors que la « mystérieuse » organisation qui aide Catherine/Sophie a parfois l'allure d'une mafia ou des services secrets soviétiques de la Guerre Froide. Un contrepoids est donné par des séquences plus contemplatives où ce n'est plus l'évolution narrative qui compte, mais l'ambiance de paisibilité et de respect de soi que gagnent doucement les personnages. Et c'est parce que leur développement est si bien mené que la finale déçoit un peu, trop réaliste peut-être alors que les préoccupations sont plus intérieures.
Le cinéma « d'auteur » québécois, c'est « plate » (sic), paraît-il - entend-on à la sortie des salles - c'est même trop hermétique, trop rigoureux, trop sérieux. Mais le traitement individuel sera toujours préférable au traitement à la chaîne qui domine présentement dans le paysage cinématographique québécois, et la signature d'un réalisateur sera toujours la meilleure assurance de vivre une expérience véritablement cinématographique. Cela dépend en fait de l'individu.