Simon Lavoie, à qui l'on doit les films Le déserteur et Laurentie, présente son nouveau long métrage, Le torrent, ce vendredi. Présenté au FNC plus tôt ce mois-ci, le film est l'adaptation d'une nouvelle d'Anne Hébert qui raconte l'histoire d'un jeune garçon destiné à la prêtise par sa mère avec qui il vit seul sur une ferme reculée. Lorsqu'il refuse de poursuivre ses études, sa mère le frappe et il devient sourd.
Victor Trelles Turgeon, Dominique Quesnel et Laurence Leboeuf incarnent les personnages principaux.
Anne Hébert est une des écrivaines québécoises le plus reconnues. Il ne faut donc pas s'étonner que le réalisateur de Laurentie s'y soit intéressé. « Oui et non. Anne Hébert a été, surtout dans les années 70, un peu mise au ban par certains écrivains plus nationalistes qui l'accusaient de ne pas parler concrètement de la condition québécoise dans ses livres, d'être trop dans la métaphore, de vouloir trop loger à l'enseigne de la la littérature, du verbe, du phrasé, de la poésie. On ne l'a peut-être pas associée autant qu'elle le méritait à cet ancrage profond qu'elle a toujours eu pour le Québec. »
« C'est intéressant de penser que cette nouvelle-là, même si elle se déroule dans un univers un peu décalé, qu'il y a des éléments fantastiques ou un peu ésotériques, Anne Hébert avait su bien constater, bien sonder ce qu'elle percevait comme étant la psyché des Québécois. Plusieurs spécialistes considèrent sa nouvelle comme une métaphore du Québec emprisonné sous le joug de la religion et de la politique. »
« J'ai toujours perçu, confusément, que cette nouvelle-là disait quelque chose de qui on est, d'où on vient et d'où on va. J'ai vraiment espoir que le film puisse avoir l'envergure de cet aspect métaphorique. »
L'histoire se déroule dans les années 20, la nouvelle a été publiée dans les années 50, et le film sort en 2012; faut-il adapter l'histoire à l'époque? « Je me suis questionné à savoir si je devais dépoussiérer cette nouvelle-là en la transposant, par exemple, dans un monde relativement moderne; pour diverses raisons, surtout de réalisme, c'est un aspect qui a été rapidement écarté. »
« Je voulais faire un film où il y a une modernité, où il y a une audace formelle, parce que, oui, pour certains c'est un film d'époque ou un récit du terroir, mais ce n'est que ça en apparence, parce que cette nouvelle-là c'est vraiment l'entrée dans la modernité de la littérature québécoise. »
Or, il faut adapter l'aspect littéraire pour le cinéma, ce qu'on fait habituellement en transposant en « actions » les éléments du livre. « Il y a déjà là un gros défi qui affecte toutes les adaptations littéraires, mais c'est encore plus vrai dans une nouvelle comme ça où le récit est fondé sur un protagoniste tourmenté, qui entre en lui-même, qui se raconte. »
« Je me suis aperçu que c'était important d'assumer et de revendiquer l'origine littéraire du film. Ce qui foncièrement m'a touché en lisant la nouvelle, outre le fait que je m'identifie au protagoniste, outre le récit en lui-même, c'est cette langue majestueuse, cette langue incantatoire, poétique, ces mots, pour moi, c'est un chef d'oeuvre incontestable. Ce n'était pas contradictoire de transposer ce texte-là à l'écran, de le donner à lire. C'est un effet qui fait partie de notre étal d'outils, comme réalisateur, mais qu'on emploie assez peu. »
Est-ce que Le torrent parle du temps? « Oui, Le torrent parle de la pérennité, de la nature. Une fois que le drame, un peu dérisoire, des hommes, s'est joué, la Nature continue. On parle aussi de la spiritualité hors des limites balisées de la religion. Je crois que ça impose une durée, parce qu'il faut prendre le temps de contempler, d'y songer, d'y réfléchir. »
Or, le film prend aussi le pari de la durée (2h33). « Je suis persuadé que le temps-écran, ce que le spectateur reçoit, encaisse, ça le met dans un état. C'est un élément qu'on peut exploiter aussi; ce n'est pas la même perception quand on a l'impression d'accompagner les protagonistes dans leurs moments d'errance. »
Comment choisir les acteurs pour ces rôles? « Tous les acteurs sans exception, tout le monde a été vu dans un processus d'audition. C'est un film où il y a peu de rôles, alors ça peut sembler plus simple comme casting, mais au contraire : si tu manques ton coup sur un des rôles... J'ai vu plusieurs jeunes acteurs québécois, et puis Victor a émergé. Sa présence physique, son intensité, sa charge physique, sa manière de bouger; c'était ça qui était exigé de lui, il a tellement peu de dialogues. Victor est hispanophone, anglophone, il n'a pas un accent « québécois », mais c'était secondaire, c'est sa présence qui devait primer. »
« Les acteurs, on les choisis bien, ils enfilent leur costume, ils sont manquillés, ils sont dans l'état d'esprit, et le travail est à 75 % fait. »
« Sur le plateau, il reste à les surveiller; je les vois comme des électrons libres. Des acteurs de cette qualité-là, ce ne sont pas des non-acteurs, je les ai choisis. Tu ne veux pas te mettre en travers de leur chemin, parce que tu sais que les propositions qu'ils vont te faire, tu veux avoir accès à ce qu'ils peuvent spontanément te donner. Il y a quelque chose qui sourde d'eux-mêmes qui est juste. »
Le torrent prend l'affiche à Montréal, Sherbrooke et à Québec ce vendredi.