Le réalisateur Romain Gavras, fils de Costa-Gavras, était de passage au Festival du Nouveau Cinéma pour présenter son premier long métrage, qui a été récompensé du prix du public de la section Temps 0, le mois dernier. Intitulé Notre jour viendra, le film prend l'affiche ce vendredi à Montréal. Vincent Cassel et Olivier Barthelemy en sont les deux acteurs principaux.
Connu pour ses vidéoclips et ses publicités, Romain Gavras imagine depuis longtemps l'histoire de ce premier film. « Pas de façon précise, mais depuis toujours je suis fasciné par les films ou les livres où c'est des gens qui plaquent tout et qui partent sur la route pour aller vers une quête impossible. J'aime beaucoup les films désespérés; même si le film est une comédie noire, ça reste un film désespéré dans la quête des personnages. C'est un film qui ne va nulle part. »
La fuite suit le cheminement intérieur des personnages. « Voilà. C'est une quête. Le fait de prendre la route accompagne la route intérieure. Le film est une quête identitaire : est-ce que je suis Français? Est-ce que je suis roux? Est-ce que je suis pédé? Est-ce que je suis différent? C'est tout ça en même temps, dans une espèce de voyage initiatique. »
Comment votre expérience préalable influence-t-elle ce projet? « Il y a une influence, mais en même temps, le fait d'avoir de l'expérience de raconter - parce que même si c'est des clips ça reste des petits histoires, une forme de narration - ça aide forcément à appréhender un film, un premier film. J'avais très peur de faire un film de clippeur, en terme de rythme, de surstylisation, que ça m'a influencé de façon presque inverse. Du coup, le film j'ai préféré le faire beaucoup plus lent, plus posé, beaucoup plus cadré. »
Ici, on a tendance à juger sévèrement les réalisateurs qui se consacrent aussi à la publicité et au vidéoclip. « En France c'est la même chose. Ce n'est plus un premier film en fait, on est attendus avec les couteaux tirés comme si c'était un deuxième film. Ça n'a pas la tendresse du premier film d'un réalisateur qui vient de nulle part, dont c'est le baptême médiatique. »
Des événements récents, en France ou ailleurs, ont-ils inscrits davantage le film dans son époque? « Je pense que les émeutes qu'il y a eues dans les banlieues de Paris, même si on est dans un cadre complètement différent de la campagne du Nord de la France, pour moi le personnage du jeune est représentatif des jeunes qui ont beaucoup de rage en eux. Un rage compréhensible et légitime, mais que, quand elle sort, elle est complètement mal ciblée et excessive. Pour moi, c'est un film ancré dans la confusion globale de son époque. Politiquement, sur les sentiments, les personnages sont très confus, le film est confus, moi je suis un réalisateur confus... Cette confusion est une analyse de la confusion d'aujourd'hui. »
J'ai lu que vous n'aimiez pas justifier la violence dans vos réalisations. « La violence je trouve ça très subjectif comme terme. Moi, je vais bien plus la ressentir en voyant Nine, de Rob Marshall, qui me viole les yeux; le mec pisse sur la mémoire de Fellini sans vergogne, ça dégouline de mauvais goût. Ça, c'est de la violence à mes yeux. Pour les gens, la violence dans mes clips ou dans mon film, c'est plutôt sur l'ambigüité de ce que ça raconte, comme il n'y a pas de message précis comme « la guerre c'est pas bien » ou « le racisme c'est mal », comme c'est plus ambigu, ça gêne les gens. »
« Ça gêne les gens de ne pas avoir un message clair. »
Est-ce un constat générationnel? « Comme tout aujourd'hui est explicatif - le trois-quarts des films va prendre le spectateur par la main et le traiter comme un ado attardé - et il y a tellement une habitude à ça que quand le réalisateur nous respecte, on ne sait plus comment penser. Je pense que notre génération, oui, est plus habituée à ça, puisqu'elle a vu tellement d'images. »
« À l'époque où mon père avait mon âge, il parlait d'un monde qu'il comprenait, et il en parlait très clairement. Moi, je parle d'un monde que je ne comprends pas du tout, et j'en parle de façon très peu claire. »
Parce que les revendications étaient plus claires? « Oui, les revendications, mais aussi les forces s'opposant étaient plus claires. Aujourd'hui, contre qui être énervé? Le gouvernement? Il ne contrôle plus rien... C'est beaucoup moins des forces qui s'opposent de façon très visible, c'est beaucoup plus confus. Forcément, ça se traduit de façon plus confuse dans les films. C'est symptomatique de notre époque. »
Comment éviter d'être prêchi-prêcha au cinéma? « On est prêcheur à partir du moment où on est très arrêté sur ce qu'on pense. Quand on ne remet rien en question. C'est imposer aux gens ce qu'on pense, alors que quand on se pose des questions ouvertement, qu'on montre ses obsessions en tant que réalisateur et auteur dans un film, je pense que c'est beaucoup honnête et intéressant. »
Notre jour viendra est distribué par Remstar.