Il y aura rarement eu une production autochtone aussi ambitieuse que Bones of Crows, qui se déroule notamment dans le système des pensionnats canadiens. Afin de raconter cette importante page d'Histoire, la réalisatrice et scénariste Métis Marie Clements a fait appel à Rémy Girard et à Karine Vanasse.
Cinoche.com s'est entretenu avec ces deux acteurs québécois qui n'avaient pas tourné ensemble depuis Séraphin: Un homme et son péché en 2002...
Bones of Crows porte sur la façon dont le Canada a traité ses populations autochtones au fil des générations. On sent que le film tombe à point, à une époque où l'on parle de réconciliation et que l'on commence enfin à admettre les fautes passées. Vous aviez le sentiment de faire une oeuvre utile?
Rémy Girard: Cinématographiquement, on avait l'impression d'être dans un moment historique. Pour la première fois au Canada, il y avait une production entièrement autochtone qui racontait cette histoire-là. On se faisait raconter l'histoire de l'intérieur. On savait qu'il y avait eu des pensionnats et que des enfants ont subi des sévices. Mais on ne savait pas ce que ça voulait dire dans la vie de tous les jours des autochtones. Avec ce film-là, on l'apprend.
Le long métrage a cette particularité de s'adresser à tout le monde et d'ouvrir les horizons...
Karine Vanasse: Tout à fait. Comme Québécois, on ne connaît pas très bien la réalité autochtone dans le reste du Canada. On tournait à Kamloops, qui est un lieu assez chargé. Des fois, il faut imaginer les lieux. Là, où l'on tournait, où l'horreur s'est déroulée. Les corps des petits enfants étaient enterrés autour de nous. Entre les prises, quand on regardait par les fenêtres, ce qu'on voyait ce sont les petites croix, les toutous et les chandelles. Ils évaluent les enfants morts à 6000. Donc de s'ouvrir à cette réalité-là, c'est important.
Vous incarnez tous les deux des membres du clergé. Cela fait quoi de jouer des « méchants », même si les personnages sont évidemment plus complexes qu'ils n'y paraissent?
R.G.: Je ne sais pas si on parle de méchanceté. Il y a une certaine violence. J'ai été élevé par les mêmes Frères que dans le film: les Frères des Écoles chrétiennes. J'en ai vu des moments de violence dans les classes. Fouetter un élève avec une grosse ceinture parce qu'il n'a pas eu 50 % en pensant qu'il va mieux performer en classe. Il faut vraiment être un imbécile. J'ai vécu avec les curés et en même temps, ils m'ont donné le goût du théâtre, ils ont fait ce que je suis... Mon personnage est frustré, il possède une violence en lui. Mais pour lui, c'est ça la vérité. Dans la religion catholique, la terre n'est qu'une vallée de larmes. C'est au ciel qu'on va vraiment réussir. C'est effrayant. On vient de loin avec cette religion-là.
K.V.: Ils avaient la conviction profonde qu'il fallait aider les enfants autochtones, effacer ce qu'ils sont. C'était tordu, mais en même temps, c'est ce qu'ils portaient en eux... Nos personnages ne sont pas présents longtemps dans le film, mais ces personnes-là n'ont pas été là longtemps dans la vie des autochtones non plus. Pourtant, leur impact résonne encore aujourd'hui.
R.G.: On le voit dans la façon dont le film est monté, souvent en flashbacks. Quand l'héroïne vit des moments de stress énormes, elle pense tout de suite au passé, à nos deux personnages. Ça devient une obsession chez elle.
Il y a eu plusieurs documentaires sur le sujet. Qu'est-ce que le cinéma peut apporter de différent?
K.V.: Le cinéma a le pouvoir de donner une valeur à l'Histoire. Il permet de mettre sur un piédestal la culture autochtone, de la magnifier, de lui redonner sa valeur. Le cinéma sert à projeter et à faire rayonner ta culture. J'étais admirative de sa richesse et déçue qu'on ne soit pas plus en contact avec elle. Mon Dieu, voici tout ce qu'on manque! En voyant le film plus qu'en lisant le scénario, il y avait l'importance de participer à cette histoire. J'étais fière qu'on me le demande. J'étais honorée et touchée qu'on me demande d'en faire partie.
Bones of Crows (L'ombre des corbeaux) prend l'affiche au Québec le 2 juin.