Après l'avoir présenté au Festival du Nouveau Cinéma l'automne dernier, Rafaël Ouellet sort son troisième long métrage, New Denmark (après Le cèdre penché et Derrière moi) au Cinéma Parallèle à Montréal. Un troisième film en trois ans, tourné à Dégelis, sa ville natale, au cours de l'été 2008. « C'est un enchaînement d'accidents. En 2008, j'ai écrit un film qui tournait autour des mêmes acteurs, autour de les mêmes prémices de deuil. J'ai fait des demandes aux Conseils des Arts du Québec et du Canada; j'ai eu un « non » du Canada et un « oui » du Québec, mais trop tard, presque au milieu de l'été. »
« J'étais au festival de Buenos Aires, où on a présenté en surprise le film Liverpool, de Lisandro Alonso. Le titre m'a fait un gros impact. Je n'avais aucune idée de ce qu'était Liverpool, mais me semble que si le film Liverpool ne se passe pas à Liverpool, ça m'intéresse. Je me suis dit que proche de chez nous il y avait Stockholm, une ville du Maine, mais je me suis rapidement rendu compte qu'aller tourner aux États-Unis avec des adolescents, ça allait être bien bien complexe. Plus proche de chez nous encore il y a New Denmark, au Nouveau-Brunswick. Je suis parti de ça : j'avais un titre, des visages, j'avais un mood. »
« J'ai imaginé un deuil, qui s'est rapidement transformé en disparition. Cet été-là, il y a une fille dans la vingtaine qui a été portée disparue - je ne me souviens même pas de son nom - et tout le monde s'en foutait. Les médias n'étaient pas là, la police n'était pas là, les amis, c'est l'indifférence totale... Je trouve ça plate. Pourquoi est-ce que Cédrika on connaît sa taille, sa couleur de cheveux, son nom de famille, et qu'elle, on n'a aucune idée? Soit qu'on pense qu'elle s'est droguée, qu'elle s'est suicidée, qu'elle a une maladie mentale; que c'est de sa faute, bref. »
Pas besoin, dans le film, de répondre à la question à savoir si elle a été enlevée et si elle est partie. « Ça ne m'intéresse pas. Dans le film, il y avait un indice, mais je l'ai enlevé. Ce qui m'intéresse, c'est l'absence. Je laisse ça dans les mains du spectateur de deviner, et j'ose espérer que même s'il ne devine pas, même s'il ne se pose pas la question, il y trouve son compte pareil. Ce qui m'importe, c'est que la vie continue. »
Les dialogues saisissent bien le langage des personnages. Sont-ils improvisés? « C'est écrit à la ligne. C'est des dialogues simples, parce qu'ils sont joués par des acteurs non expérimentés. J'essaie de rester proche de leur parlé. Souvent, je leur donnais les dialogues à la dernière seconde, parce que s'ils les apprenaient trop d'avance ça paraissait. À part Carla, qui a peut-être plus l'ambition d'être actrice, les autres acteurs fallait que je leur donne on the spot, sinon ils les apprenaient avec des tics. »
« Avec des acteurs professionnels, parfois, tu dois défaire ce qu'ils ont préparé d'avance. Avec eux, il y a tout à bâtir. Le chemin est différent. »
On a l'impression que New Denmark est un film de feeling. Qui si tu l'avais tourné et monté six moins plus tard, il serait entièrement différent. C'est n'est pas un exercice théorique. « Non. Il y en a quand même un peu, de théorie, mes trois films se recoupent un peu. Mais il y a tellement d'adaptation à faire chaque jour, au niveau de la météo entre autres. J'arrive tellement humblement, avec ma petite caméra, mes comédiens inexpérimentés, je ne vais pas commencer à pleurer et à chambarder tout mon tournage parce que le ciel n'est pas ce que je voulais. »
« C'est du travail, du talent, mais de la chance aussi. »
Le film est-il très différent du premier montage? « Au début, il y avait vraiment beaucoup beaucoup de musique dans le film, j'avais vraiment trippé sur la musique de Man an Ocean. Je l'ai montré à des amis, à Denis Côté, qui a dit : « mes oreilles saignent, trop de musique ». Trop de musique, c'est comme trop de dialogues. J'avais deux choix : assumer le côté vidéoclip, la musique, le mélo, ou dégraisser et faire un objet d'art. J'ai essayé les deux. »
Fais-tu souvent appel à des amis? « Quand tu montes tes propres films, tu manques de recul un moment donné. Je n'ai pas eu de pudeur à le faire entrer dans ma salle de montage pour l'écouter. Pas lui obéir, mais l'écouter. C'est le recul que je n'avais pas. Son recul m'a permis de faire le film que je voulais faire au départ. »
« Comme cinéaste de long métrage, je demande au public de m'accompagner. Je n'ai pas fait mon chef-d'oeuvre en partant, mon Citizen Kane. J'apprends sous l'oeil du public. Je suis convaincu que j'ai un grand film en moi, mais je ne peux pas te dire que c'est tout de suite. Ceci dit, ils méritent quand même d'être vus. »