Avec Quitter la nuit, la cinéaste Delphine Girard allonge et approfondit son court métrage Une soeur, nommé aux Oscars en 2019.
Inspiré d'un réel appel d'urgence effectué il y a plusieurs années aux États-Unis, le long métrage débute lorsqu'Aly contacte le 911 depuis une voiture en mouvement. Elle prétend alors parler à sa soeur pour ne pas éveiller les soupçons du conducteur. Anna, l'opératrice des services d'urgence se trouvant à l'autre bout du fil, réussit à faire intervenir les autorités pour sortir Aly de cette situation pour le moins précaire.
Une fois au poste, Aly accuse le conducteur du véhicule de l'avoir agressée. Le principal intéressé nie aussitôt les allégations. Tous deux tentent dès lors de retrouver une vie normale au cours des longs mois devant mener au procès.
Dans le cadre de la sortie du film dans les cinémas de la Belle Province, nous avons eu la chance de nous entretenir avec la réalisatrice, ainsi que la comédienne Anne Dorval, qui tient le rôle de la mère de l'accusé.
Delphine Girard n'avait pas prévu au départ transformer son court de 16 minutes en long métrage, mais plusieurs éléments l'ont finalement inspirée à aller de l'avant avec le projet.
« Dans les faits réels, la jeune femme ne s'était pas rendue à son procès [...] Ça m'a beaucoup hantée, parce que je me disais : ''C'est fou d'avoir le courage de se sortir de cette situation-là, d'inventer un truc aussi complexe, de se sauver, et de ne pas pouvoir porter sa voix après'' », explique-t-elle, soulignant que le processus judiciaire peut parfois devenir un deuxième traumatisme pour les victimes d'agression sexuelle.
« Ce qui m'importait avec Aly, c'était de créer dans la fiction un personnage qui n'est pas une victime parfaite. Aly, pour moi, c'est une femme puissante qui n'a pas vu venir que quelque chose comme ça allait lui arriver, qui est très préoccupée par sa réparation, mais pas beaucoup par la justice, ce que je trouve légitime en fait. Elle n'a pas envie de s'aliéner pour être une victime qui peut être entendue. C'est quelque chose que j'ai beaucoup entendu. »
Quitter la nuit fait également le pari audacieux de présenter l'accusé en ne le limitant pas qu'à l'acte violent qui lui est reproché, nous invitant à nous immiscer dans son quotidien comme simple observateur, tout en explorant par la bande les dommages collatéraux découlant inévitablement d'une telle histoire.
« Je trouvais que c'était important de ne pas juger ce personnage dans le récit. Les faits vont parler à un moment ou à un autre [...] On s'attend à un agresseur qui ne serait que son acte violent, mais ce n'est pas comme ça dans la vie. Les gens ont des qualités, des métiers, des blessures... Et je crois que c'est compliqué de ne pas traiter la question au complet, de voir l'humain au complet. Ça m'intéressait de traverser ce personnage avec comment lui perçoit ce qu'il a fait, et ce qu'il lui faudrait pour se remettre en question », soutient Delphine Girard.
« Pour la mère aussi c'est une douleur, parce qu'elle reconnaît probablement son ex dans son fils. C'est très confrontant aussi. Il y a plein d'étapes pour atteindre un début de guérison. C'est intéressant de voir jusqu'où elle s'était enfermée. Elle souffrait, et ça pouvait devenir une pensée obsessionnelle, même si elle fait semblant que tout va bien », renchérit Anne Dorval.
Une scène du film Quitter la nuit - Entract Films
Pour la cinéaste, qui se décrit comme une fan absolue de la comédienne québécoise, l'idée de voir celle-ci interpréter le rôle de Laurence semblait d'abord tenir du rêve impossible, mais cette rencontre a finalement pu avoir lieu beaucoup plus simplement qu'anticipé.
« Quand on a commencé à réfléchir au casting, avec mon producteur, elle est arrivée assez vite, comme un rêve un peu lointain. On n'avait aucune idée si c'était une invitation qu'elle pouvait accepter ou pas. Je lui ai écrit une lettre, et on lui a envoyé le court métrage et le scénario, puis on s'est parlé, et elle a accepté, ce qui était un très beau cadeau pour moi », confie Delphine Girard.
« C'est un personnage très riche, complètement déboussolé. Elle est dans le déni, dans le mensonge. C'est quelqu'un qui a un passé trouble de violence conjugale, dont elle n'a jamais discuté avec son fils », poursuit Anne Dorval.
« Je trouve que ça, déjà, c'est une bonne entrée en matière, d'avoir un personnage qui dit le contraire de ce que son coeur voudrait dire. Cette espèce de bataille entre le corps et l'esprit, je trouvais ça vraiment intéressant. »
Et le film a certainement la capacité de faire oeuvre utile. Surtout que le long métrage n'est pas proposé dans le même contexte que le court, qui suivait de très près les débuts du mouvement #metoo. De l'eau a, certes, coulé sous les ponts depuis, mais il reste encore énormément de travail à faire.
« Je pense qu'on commence tout juste à sortir de cette espèce de vision que ce sont des cas particuliers, un peu loin de nous. C'est loin de personne en fait, c'est dans la vie de tout le monde à des degrés différents. Je trouvais que c'était intéressant de faire une représentation de ces dommages collatéraux, de comment ça touche la vie d'une mère, d'une soeur, d'une fille. C'est une façon de nous rendre tous responsable, de nous investir dans ces histoires-là. Même si c'est à des degrés différents, on a tous des rôles à jouer d'une certaine façon », conclut-elle.
Quitter la nuit est présentement à l'affiche partout au Québec.