Le réalisateur Philippe Falardeau (C'est pas moi, je le jure!, Congorama) tourne présentement son quatrième long métrage, Bachir Lazhar, dans la région de Montréal. Tiré d'une pièce de théâtre d'Evelyne de la Chenelière, le film raconte l'histoire d'un immigré algérien engagé dans une école primaire pour remplacer une enseignante qui s'est suicidée.
Un film qui permet au réalisateur et scénariste d'explorer plusieurs sujets à la fois. « D'abord l'immigration, les réfugiés, mais aussi le système d'enseignement. On a quelqu'un qui est un personnage très littéraire, qui arrive avec une méthode d'enseignement qui est très vieille, avec des enfants qui sont habitués à un système plus malléable. À l'origine, c'est un film sur le deuil et le sentiment de culpabilité. »
« Je suis tombé en amour avec le personnage, il est vraiment quelque chose. Ce qui est intéressant, c'est qu'il vit un drame d'immigrant, mais que l'enjeu du sujet est ailleurs. C'est un personnage qui se sent coupable, et qui va faire une fixation sur la culpabilité que portent les enfants, il va essayer de leur faire parler de la mort de leur professeur, alors que c'est de la mort de sa propre femme dont il a besoin de parler. »
« J'essaie de revenir avec un cinéma plus social, plus engagé d'une certaine façon, mais qui me permet de continuer à explorer l'émotion au cinéma; ce que je ne faisais pas très bien dans mes deux premiers films parce que j'avais une inhibition très cérébrale par rapport à ça. J'ai toujours peur de tomber dans le mélodrame. »
L'opportunité était belle avec cette histoire sur plusieurs niveaux qui apporte son lot de défis. « La pièce de théâtre, c'était une seule personne sur scène. Je pouvais construire tout autour : l'école, les enfants, les rapports entre les enfants, et explorer davantage. Au théâtre, aussi, on n'a pas à dealer avec la vraisemblance. Par exemple : comment ça se fait qu'une école embauche un réfugié qui n'a pas encore ses papiers? Moi, ça me stimulait. »
Qui incarnait Bachir Lazhar au théâtre? « C'est Denis Gravereaux, qui était excellent. Il était lyrique, touchant... Le problème avec Denis, c'est qu'il est Français, et même si le consul de l'Algérie pensait qu'il était Kabyle, au cinéma, à cause encore de la question de la vraisemblance - c'est pas parce que c'est vrai que c'est vraisemblable au cinéma -, Denis a l'air d'un Français, et je voulais avoir une vraie tête d'Algérien. »
Cet Algérien, c'est Fellag, un acteur de théâtre, humoriste et auteur établi en France qui a vécu l'exil. « Il y a une trentaine d'années, je suis venu au Québec. J'utilise cette expérience comme comédien, comme background, le dépaysement, la différence des cultures, l'éloignement. »
Son contact avec les jeunes comédiens québécois du film est très stimulant. « Ils sont très étonnants, très talentueux. Ils sont d'une intelligence et d'une justesse inouïe. C'est très rare de tomber sur des enfants qui savent jouer, mais en Amérique du Nord, j'ai été très étonné. Il sont 22 dans la classe, il n'y en a pas un qui est à-côté. Je me suis demandé d'où ça venait. Est-ce que c'est la télé, est-ce que c'est l'école? Il n'ont pas un rapport à la morale comme dans d'autres pays, ils sont beaucoup plus libres. Ça doit être un peu tout ça. »
L'auteur de la pièce, Evelyne de la Chenelière, a accompagné le réalisateur pendant son travail d'adaptation. « Il m'a demandé de l'accompagner pour être, et je reprends ses mots, « la gardienne du personnage ». Je crois que j'ai agi comme miroir privilégié pour être certain que le scénario ne quitte pas ce qui avait attiré Philippe au départ, c'est-à-dire cette histoire à la fois humaine et poétique. »
« Mais c'était très clair pour Philippe et pour moi qu'il avait toutes les libertés, parce que c'était son scénario. »
Des libertés qu'il a dû prendre pour assurer la vraisemblance du récit. « L'évocation, la transposition au théâtre est quelque chose qui s'accepte plus facilement. Au cinéma, il y a un souci de vraisemblance qui est plus précis, donc je comprenais que Philippe ait envie d'aller chercher un acteur algérien. Philippe est un artiste très rigoureux, c'était très important pour lui que tout soit absolument plausible. »
Adapter, c'est toujours un risque de trahir l'essence de l'oeuvre. « Philippe a été capable de garder cette histoire qui met de l'avant Bachir Lazhar, mais aussi de développer les personnages secondaires, qui étaient volontairement archétypaux lors de la pièce de théâtre. Ces archétypes sont devenus des entités complexes, humaines, et parfois paradoxales, et c'est très très riche pour un scénario de cinéma. »
Bachir Lazhar sera distribué par Les films Christal et devrait prendre l'affiche à l'automne 2011, après avoir été proposé aux divers festivals internationaux.