Le film Un amour de jeunesse, de la réalisatrice Mia Hansen-Løve, prend l'affiche à Montréal et à Québec dès aujourd'hui. Le film, en partie autobiographique, raconte l'histoire de Camille, 15 ans, qui est amoureuse de Sullivan. Lorsqu'il la quitte, elle est dévastée. Bien des années plus tard, la jeune femme, étudiante en architecture, tombe amoureuse de son professeur. Mais c'est là que Sullivan réapparaît dans sa vie.
Rencontrée à Paris plus tôt cette année, la réalisatrice de Tout est pardonné et de Le père de mes enfants inscrit ce troisième film dans la lignée de ses longs métrages précédents. « Quand j'ai écrit les deux autres films, je n'ai pas du tout pensé comme ça. C'est seulement quand j'ai abordé ce troisième film, le dernier, je me suis rendu compte que ça formait vraiment un tout très cohérent et que je ne pourrais pas dissocier les films. Au point où j'espère d'ailleurs pour sortir les trois ensembles, pour moi ils sont vraiment indissociables. Il y a quelque chose qui les relie. »
« À la fois dans le sens où les questionnements et les thèmes sont communs, mais aussi dans le sens que pour moi, celui-là complète les autres. Il dit ce que les autres ne pouvaient pas dire. J'ai l'impression d'avoir fait ce film pour finir un chapitre que je n'aurais pas pu finir si je n'avais pas fait ce film sur l'amour adolescent, sur la vocation, sur un parcours inspiré par le mien, parce que ces questions-là, en particulier l'amour physique entre deux jeunes personnes et comment cet amour va déterminer toute leur existence, sont à la source des deux autres. »
Pourtant, c'est ce film qui termine la « trilogie ». « Je ne me sentais pas capable d'aborder une histoire qui était aussi ouvertement personnelle. Les autres l'étaient aussi, mais pas de manière aussi frontale. Dans les deux autres, je parlais de mêmes problématiques, mais de manière détournée. »
Vous deviez donc avoir une complicité particulière avec la jeune actrice qui incarne le personnage principal, Lola Créton. « Oui et non. Il y a quelque chose de fort entre elle et moi, oui, j'espère. Mais je n'ai pas cherché à lui faire savoir tout ce que portait le film. D'autre part, dans ma manière de travailler avec les acteurs, je ne crois pas beaucoup aux directions psychologiques. Pour ce film ou pour les autres, j'ai essayé d'éviter autant que possible les caractérisations du personnage; d'où elle vient, pourquoi elle est comment elle est, etc. Je ne crois pas qu'on se rapproche d'une vérité et d'une présence de cette manière-là. »
« Lola est une personne extraordinairement instinctive et pas intellectuelle dans son rapport au personnage et au jeu. Il y a différentes choses qui m'ont séduites chez elle qui ont à voir avec sa maturité, la force de sa présence, la simplicité de son jeu, et une violence qu'elle a en elle qui est une apparente douceur physique, très délicate... Je n'ai pas cherché quelqu'un qui me ressemble. »
« Quand on fait un cinéma qui est biographique ou autobiographique, mon désir n'est pas de reproduire la réalité telle qu'elle l'a été, ni de revenir dans le passé, en fait c'est de recréer une mémoire. De se servir de ce que le passé a de mortifère pour produire de la vie, de la fiction. »
Avant de réaliser Le père de mes enfants, la réalisatrice a d'abord écrit le scénario selon le point de vue du garçon. « À partir du moment où je me suis mise à l'écrire vraiment, ça s'est imposé. Ce qui m'est apparu, c'est que pour la partie centrale, je devais être avec elle. La solitude, le passage à vide, la reconstruction, ça m'est apparu comme le centre du film. C'était ça que j'avais voulu refouler, qui me faisait le plus peur, plus encore que l'amour, la nudité, l'amour physique. »
Vous prenez grand soin d'inscrire les dates à l'intérieur du film, et de plusieurs façons inhabituelles. « Il y avait quelque chose d'un peu ludique pour moi, mais en même temps j'y tiens beaucoup. Je suis très sensible à l'énumération des lieux et des dates; je trouve que le fait d'avoir un rapport un peu maniaque et très précis au réel, c'est quelque chose dont je me sens proche. À la fois parce que je fais un cinéma qui ramène au réel, qui parle de ça, et en même temps pour moi le réel c'est de la poésie. Ça passe, notamment, par la précision topographique, géographique et chronologique. Je tenais beaucoup à ce que ce film ne soit pas seulement une histoire en général; ce n'est pas du tout une histoire d'amour intemporelle qui aurait pu se situer à n'importe quelle époque; je tenais à l'inscrire dans le temps. »
« Ce qui ne veut pas dire que je ne voulais pas que ce soit universel, au contraire, mais je ne crois pas à l'universalité dans les généralités. Pour moi, l'universalité elle est dans la singularité, et c'est à partir de la vérité d'une expérience singulière, d'un destin particulier, c'est de là que peut venir l'universalité. Pour moi, elle est dans la vérité, et pas dans le fait de reproduire des archétypes. »