« Cher long métrage, c'est à ton tour de te laisser parler d'amour... »
Qu'il s'agisse d'un classique instantané, d'une excellente production mal reçue à sa sortie, ou d'un navet bénéficiant désormais du statut de film culte, l'heure est aux bilans, aux coupes de champagne, aux morceaux de gâteau trop sucré et aux bons souvenirs de toutes ces images que nous avons pu oublier au fil des ans.
Aujourd'hui, nous soufflons les trente bougies du film...
CLERKS (Commis en folie)
Comédie | États-Unis | 91 minutes
Réalisation : Kevin Smith
Interprètes : Brian O'Halloran, Jeff Anderson, Marilyn Ghigliotti et Lisa Spoonhauer.
Sortie dans les salles nord-américaines : le 19 octobre 1994.
« I'm not even supposed to be here today » est certainement l'une des répliques les plus connues du cinéma américain des années 1990.
Une ligne de dialogue répétée périodiquement par le personnage principal tout sauf inspirant d'un petit film indépendant tourné en noir et blanc, avec les moyens du bord, et un budget estimé à moins de 30 000 dollars.
C'est pourtant le succès aussi réjouissant qu'inattendu qu'a connu un jeune Kevin Smith avec son premier long métrage, dans lequel il relatait simplement son propre quotidien de commis de dépanneur du New Jersey.
Une histoire se déroulant à l'intérieur d'un quart de travail dont l'authenticité, les référents sociaux et culturels, et le regard porté vers un avenir plutôt flou ont su parler à toute une génération.
Clerks (Commis en folie, en version française - oui, c'est terrible comme traduction) a évidemment marqué les esprits de par la capacité de son auteur à mettre en lumière le genre de marasme et de désagréments auxquels tous les commis de dépanneur et de club vidéo - qu'ils reposent en paix - de ce monde ont inévitablement dû faire face un jour ou l'autre.
Des demandes absurdes aux clients au comportement étrange, en passant par les flâneurs, les horaires éreintants et les remplacements de dernières minutes, Smith passe au peigne fin cette réalité par l'entremise d'un personnage pour qui celle-ci semble vouloir devenir une finalité plutôt qu'un simple passage obligé.
Tout rappelle à Dante Hicks (Brian O'Halloran) qu'il gaspille son potentiel, mais ce dernier est surtout conscient de son incapacité à aller de l'avant et à prendre les risques qui s'imposent. Pour sa part, son bon ami et comparse Randall (Jeff Anderson) a une approche beaucoup plus résignée et teintée de je-m'en-foutisme par rapport à cette situation commune.
Un constat que Clerks exprime d'une façon aussi perspicace que substantielle en insistant sur le parcours amoureux des plus houleux de son protagoniste, et les nombreuses insécurités qui en ont découlé.
Le présent long métrage est évidemment un pur produit de son époque, affichant un côté DIY et une attitude grunge (si nous pouvons l'exprimer ainsi) qui va de pair avec le discours et les questionnements soulevés par Kevin Smith.
De son propre aveu, la réalisation de ce dernier se limitait souvent à placer la caméra au bon endroit et à dire « Action » et « Coupez » le temps venu. Le montage rudimentaire et certaines performances reflètent aussi parfaitement ce côté amateur flirtant avec le film étudiant qui n'a rien perdu de son charme ni de sa pertinence dans un tel contexte.
Là où Kevin Smith aura su tirer son épingle du jeu et attirer l'attention de certains joueurs de l'industrie, c'est à travers la force de ses dialogues, exprimant clairement une réalité, mais par le biais d'un ton et d'une élocution résolument cinématographiques, ainsi que d'une démarche intuitive lui ayant permis d'implanter son récit dans un contexte tout à fait tangible et « organique ».
Jay et Silent Bob n'ont eu besoin que de quelques minutes de temps d'écran pour devenir des personnages iconiques, tout comme les observations de Randall sur les contracteurs ayant théoriquement pris part à la construction de la seconde Étoile de la mort dans Return of the Jedi. Il en va de même pour les nombreuses touches d'humour grivois, et la manière dont Smith parle de sexualité sans filtre ni retenue - ce qui était encore assez inhabituel à l'époque.
30 ANS PLUS TARD...
Évidemment, Clerks est arrivé à un moment plus qu'opportun, alors que le cinéma indépendant américain retenait de plus en plus l'attention, notamment grâce à l'arrivée de cinéastes comme Quentin Tarantino et Steven Soderbergh.
De sa mise initiale d'un peu moins de 30 000 $, Clerks allait engendrer plus de trois millions de dollars de recettes au box-office nord-américain.
Pas mal, n'est-ce pas?
La carrière de Kevin Smith a évidemment pris son envol par la suite, lui qui semblait pratiquement inarrêtable durant la seconde moitié des années 1990... avant que son inspiration mène à des résultats un peu plus en dents de scie durant les années 2000.
Pour plusieurs de ses fans, Clerks demeure le chef-d'oeuvre du cinéaste, une légère coche au-dessus ou à égalité avec son remarquable Chasing Amy de 1997.
Clerks aura également engendré deux suites, sorties respectivement en 2006 et en 2022, ainsi qu'une série animée. Clerks III allait boucler la boucle d'une manière particulièrement émotive et personnelle pour Smith, mettant en scène un Randall s'affairant à tourner le « Clerks original ».
Notons que Clerks fait également partie des quelque 875 films figurant actuellement au National Film Registry de la Bibliothèque du Congrès américain, qui regroupe les oeuvres américaines reconnues pour leur apport significatif sur les plans culturel, historique et/ou esthétique.
Ça, c'est définitivement pas mal!
Bref, Dante Hicks a bien fait de se présenter au travail ce fameux matin après avoir passé une nuit inconfortable dans son placard. Même s'il avait effectué la fermeture du Quick Stop la veille, même s'il avait une partie de hockey de planifiée en après-midi, et même s'il n'était même pas censé être là ce jour-là.
Clerks est disponible en Vidéo sur demande, ainsi qu'en formats DVD et Blu-ray.