Lucy Grizzli Sophie, l'adaptation cinématographique de la pièce La meute de Catherine-Anne Toupin, risque de générer bien des discussions, et ce, autant de par sa forme que par la teneur de son discours.
Le film nous fait suivre Sophie, qui décide de laisser sa vie en ville derrière elle pour s'évader à la campagne pendant quelques temps. Visiblement troublée, la femme loue alors une chambre dans la maison de Louise, où réside également Martin, le neveu de cette dernière, qui se cherche depuis qu'il a perdu son emploi.
Au fil des jours et des nuits de plus en plus arrosés, Sophie et Martin développent une relation de plus en plus complice. Un soir, Sophie fait une proposition à Martin qui pourrait l'aider à se remettre sur pied. Mais à l'aube, plus rien n'est pareil.
Nous avons eu l'occasion de nous entretenir avec l'autrice, ainsi qu'avec la réalisatrice Anne Émond en marge de la sortie du film, qui vient aussi confirmer une certaine tendance pour le moins réjouissante dans le cinéma québécois.
Évidemment, la première chose que nous remarquons, c'est que le long métrage ne porte pas le même titre que la pièce.
« Le distributeur ne voulait d'aucune manière être associé avec le groupe d'extrême droite, ni au niveau de l'image ni au niveau légal. On est donc allé vers un titre mystérieux, audacieux, et qui devient comme le premier indice de ce suspense-là », explique Catherine-Anne Toupin.
Anne Émond n'avait pas vu la pièce de théâtre avant de lire le scénario à titre de conseillère, et le récit a laissé une très forte impression sur la réalisatrice.
« C'est tout le mystère, l'approche du thriller psychologique. On sent qu'il y a quelque chose, on sent que ça va exploser, mais on ne sait pas ce qui se passe. Une fois que j'ai compris ce dont on parlait dans le film, le sujet m'a beaucoup intéressée. Le harcèlement, la misogynie, la vengeance, l'aspect moral ou amoral que portait ce scénario-là m'a beaucoup interpellée », soutient-elle.
L'autrice a d'ailleurs pris plusieurs libertés par rapport à son propre texte au cours du processus d'adaptation afin de rendre celui-ci beaucoup plus cinématographique.
« Au théâtre, tout est dans le dialogue. Ce qu'il y a de formidable au cinéma, c'est que tu peux avoir de longs moments où tu n'as pas besoin de parler, c'est seulement tes yeux, ton visage, une image, et c'est cent fois plus fort qu'un long monologue », souligne-t-elle.
« Dans la pièce, il y avait de longs monologues un peu poétiques, violents, et j'ai eu un grand plaisir à enlever 60 % des dialogues qui existaient dans la pièce, et de faire vivre ces personnages-là de manière plus tactile, dans les regards, les touchées, dans la façon dont ils se rapprochent, dont ils s'éloignent, dont ils s'observent. Tout devient révélateur. »
« Je pense que ça peut être un peu désarçonnant comme film. Il faut s'accrocher, il faut rester avec elle et lui, et essayer de comprendre ce que représente ce mystère-là », ajoute Anne Émond.
La cinéaste avait d'ailleurs une vision assez claire de la façon dont elle voulait structurer son film afin que la forme témoigne du fond.
« J'ai voulu être dans la tête d'une femme traumatisée. Tu ne sais jamais quand ces images-là vont surgir. Ensuite, le film pose une autre question, à savoir si la violence est moins réelle si elle est sur les réseaux sociaux. Ton corps n'est pas mis en jeu et ravagé de la même manière, mais, psychologiquement, c'est une vraie violence », poursuit-elle.
La réalisatrice a aussi beaucoup aimé l'opportunité de pouvoir s'éloigner de la recherche de réalisme souvent défendue par le cinéma québécois pour flirter davantage avec le thriller et le cinéma de genre. L'équipe de production a d'ailleurs pu constater durant les projections tests à quel point le public réagissait fortement à la mécanique du récit et aux revirements de situation.
« Ce n'est pas en faisant un film plate sur ce sujet-là qu'on va intéresser les gens. J'aime l'approche frontale, violente et un peu manipulatrice aussi », affirme Anne Émond.
« Il ne faut pas bouder le plaisir du cinéma populaire avec la twist, le punch, à la fin. J'ai revu les hits de la fin des années 1980 et du début des années 1990 : Basic Instinct, Misery, Fatal Attraction... Des films qui ont un peu mal vieilli au niveau des thèmes, mais pas au niveau du plaisir cinématographique, de la surprise et du côté malsain de tout ça. J'ai eu envie de ne pas bouder ce cinéma et ces inspirations-là. »
Anne Émond se réjouit d'ailleurs de la tangente qu'emprunte actuellement le cinéma québécois, qui, à ses yeux, « se décomplexe enfin ».
« Si tu faisais un thriller psychologique, tu étais un cinéaste mineur et tu faisais un sous-film de série B », souligne-t-elle.
« Je pense qu'il y a notre propre snobisme, dans le milieu des cinéastes et des critiques, mais les budgets québécois jouent aussi sur jusqu'où tu peux aller dans l'ambiance, les effets spéciaux, etc. Il était temps qu'on décloisonne un peu les genres. »
Et pour ce qui est du coeur du problème qu'aborde le film, l'avenir demeure pavé d'incertitudes, même si la tendance, elle, s'avère on ne peut plus claire et facilement explicable et observable.
« C'est un effet d'entraînement qui a été étudié par des psychologues. La première façon de connecter avec l'autre, c'est d'haïr la même chose. C'est beaucoup plus facile que d'aimer la même chose, parce que ça ne demande pas d'intimité. Ce qui se passe sur les réseaux sociaux, dans les médias, en politique, la façon dont on entre en contact avec l'autre, c'est par la colère, l'agressivité. C'est le meilleur moyen d'aller chercher l'attention », explique la scénariste.
Et comment éviter que cette situation s'envenime davantage? Là est toute la question...
« Il va falloir réglementer tout ça, et ça ne peut pas être fait individuellement. Je pense que les gouvernements doivent intervenir face aux grandes plateformes, qu'on empêche les discours haineux, qu'on punisse sévèrement, qu'il y ait des mécanismes de défense en place qui nous permettent de protéger la liberté d'expression, mais aussi les gens », conclut Catherine-Anne Toupin.
Lucy Grizzli Sophie est présentement à l'affiche partout au Québec.