Avec au générique des gros noms comme Michel Côté, Stéphane Rousseau, Patrick Huard, Rachelle Lefevre et René Angelil, le réalisateur de l'adaptation cinématographique de la série télévisée Omertà, Luc Dionne, a dû porter une attention particulière aux comédiens et aux personnages. À commencer par celui qu'il retrouve, treize ans après la fin de la diffusion de la série sur les ondes de Radio-Canada, celui de Pierre Gauthier.
Écrivez-vous ce qui s'est passé dans la vie de Pierre Gauthier depuis la fin de la série? « Oui, tout le temps, nous dit d'abord le réalisateur. On appelle ça la bible des personnages. On part de la naissance du personnage, jusqu'au début du récit. Qu'est-ce qui s'est passé? Souvent, dans un scénario qui ne fonctionne pas, c'est parce qu'on connaît mal les personnages. Le passé du personnage dicte ce qu'il va faire à l'avenir. »
Le principal intéressé, Michel Côté, abonde dans le même sens. « Ça peut être imperceptible pour bien des gens, mais si tu regardes comme il faut dans le fond de l'oeil... Il est malheureux en amour. Il ne fait pas de jokes. Il a jeté son dévolu dans sa compagnie. La seule femme de sa vie c'est sa fille. Ça, c'est là. Tu construis l'émotion de ton personnage comme ça. Ça influence le débit, ça influence le regard. »
Il poursuit : « Le réalisateur a beaucoup de chats à fouetter, alors s'il fallait qu'il gère l'émotion de tous les personnages en même temps et où ils sont rendus, alors qu'ils ne sont pas rendus à la même place en même temps... Normalement, chaque acteur sait où son personnage est rendu dans son émotion. »
C'est d'ailleurs ce qui a mené au choix de René Angelil pour incarner le parrain. Il représente ce qu'il doit jouer. « Je pense qu'il y a une chose au cinéma que tu ne peux pas jouer, c'est le pouvoir, renchérit Luc Dionne. Il y a des acteurs qui l'ont; Marlon Brando, Jack Nicholson, un mélange de condescendance, d'assurance... Les hommes de pouvoir sont souvent des hommes de très peu de mots. »
Qui connaît mieux le personnage, l'acteur ou l'auteur? « Je pense qu'il faut avoir l'humilité d'écouter quand quelqu'un dit : me semble que je ne ferais pas ça comme ça. Mais dans le jeu, dans le non-dit, il y a des affaires qui n'ont pas leur place. Il y a un espace où, on fait ce qui est écrit. On peut tricoter autour, ce qui m'a vraiment plu sur ce film-là, c'est la maturité des comédiens. Je les ai souvent joués les uns contre les autres. Parce que, dans l'univers qu'on décrit, que ce soit des agents doubles, des enquêteurs, des criminels, ce sont des monstres d'égocentricité. Dans ce monde-là, il faut que tu aies le dernier mot. »
« C'est un monde macho, c'est un monde criminel, c'est tough. » Est-ce un monde qui a changé depuis la fin de la série? « Les personnages ont évolué. Mais est-ce qu'on change vraiment? Pierre Gauthier est à la tête de Pulsar International, grosse compagnie, 2000 employés, des bureaux à Montréal, Vancouver, Toronto, Paris, Dubaï, mais c'est encore un ti-cul qui aime débarrer des portes et jumper des systèmes d'alarmes. Il aime ça. Il évolue, il est rendu ailleurs, mais ça reste une police, un petit gars. »
Mais l'aura de la mafia italienne tient du mythique... « Ce sont des criminels. On travaille pour rendre ces gens-là attachants, il y a une patine scintillante qui fait que c'est glamour, mais dans le fond, ce n'est pas glamour. Le crime organisé change beaucoup avec les années. On travaille très très fort au niveau de la rue, l'argent accumulé dans le crime organisé change de couche, il se transforme. Tu passes de la rue, à ouvrir des bars et des grands restaurants, des hôtels. »
Au fond, il y avait mille histoires à raconter. Pourquoi celle-ci? « J'ai décidé de raconter l'histoire des lingots parce que c'est une histoire qui m'intéresse beaucoup, que j'ai suivie beaucoup. Cherche « tungsten gold » sur internet tu vas lire pendant des jours. C'est devenu tellement gros que Ron Paul, un candidat républicain, a demandé à vérifier. Mais la Réserve fédérale américaine a dit non. Peu de gens savent que ce sont les banques qui gèrent la Réserve... »
En télévision, on a souvent plusieurs heures pour raconter une histoire, alors qu'un long métrage dure environ deux heures. Quelle est la différence? « C'est autre chose! Ce n'est ni plus facile, ni plus difficile, c'est autre chose. » Mais y a-t-il un avantage? « Au long métrage? Le grand écran. On respire. Les trois derniers films que j'ai faits, c'est trois biographies, un genre très difficile à faire, et trois films d'époque. En 1920, on ne peut pas voir un pylône électrique ou un poteau de téléphone. Tu es toujours pris dans des décors où il n'y a pas de plafond, t'es pogné à tourner avec la 85 mm dans la face, c'est un traitement très télévisuel. J'arrive dans Omertà, grand angle. C'est large, on respire, c'est au grand écran. »
Omertà prend l'affiche demain à travers le Québec.