Pour le lancement officiel du fameux documentaire Les voleurs d'enfance, Cinoche.com s'est entretenu avec le réalisateur du film, Paul Arcand, et la productrice, Denise Robert. Le travail de Paul Arcand sera à l'affiche ce vendredi 7 octobre, sur plus de 50 écrans du Québec, un précédent pour un documentaire.
Les voleurs d'enfance est un documentaire qui choc et qui nous ouvre les yeux sur une problématique qui est trop longtemps passée sous silence. Le film, qui s'attaque au problème des enfants maltraités, présente des entrevues avec des victimes et des abuseurs.
Paul Arcand
Une palette d'émotions
Paul Arcand décrit son film comme une palette d'émotions. Lorsqu'il a envoyé son rough cut au musicien, celui-ci ne savait pas quoi en penser. Il y a des moments qui vous touchent, d'autres que qui vous mettent en colère et certains qui vous rendent impuissant. Il y a dans le film un beau côté des gens qui ont survécu et dans l'autre, tu as un système défaillant." Le réalisateur trouvait important de montrer ces deux dynamiques. "C'est une charge, c'est le style", nous dit Paul Arcand. "Quand tu vas au garage avec ta voiture, tu n'y vas pas pour dire que ta portière est correcte ou que tes freins sont parfaits." Il voulait mettre le doigt sur le problème.
Il voit son documentaire comme un outil. C'est un coffre à outils d'arguments pour que les gens puissent s'en servir. Il reçoit des messages de travailleurs de rue qui lui disent que c'est la première fois que quelqu'un présente les vraies affaires. Il espère que les gens vont prendre la relève et continuer la lutte pour de meilleures conditions de vie pour les victimes d'abus. "Mon job était de montrer au public ce que j'ai vu.", conclut-il.
Paul Arcand a adoré sa première expérience dans le monde du documentaire. Il explique que Denise Robert est une productrice incroyable, qu'elle le motive. "Si j'ai à faire un autre film, c'est avec elle", nous dit-il. Pour l'instant, il va prendre une pause.
Denise Robert
Il est temps de réagir
C'est ce que croit Denise Robert, la productrice du documentaire. "C'est tout à fait normal d'être révolté après le visionnement du film" dit-elle. "C'est un film très sombre et les choses démontrées dans Les voleurs d'enfance ne peuvent être tolérées. Les jeunes sont notre avenir, c'est insupportable d'avoir des systèmes aussi défaillants."
Pourquoi choisir Paul Arcand?
L'idée de départ était de faire un documentaire comme l'ONF (Office National du Film) à l'époque. Donner une caméra à un cinéaste et qu'il tourne sur le sujet de son choix comme bon lui semble. Assurément, aujourd'hui en 2005, l'ONF n'a plus les moyens de faire ce genre d'exercice. La productrice nous explique que c'est durant le tournage d'Aurore, où elle était productrice, qu'elle a eu l'idée de faire un documentaire sur les enfants abusés. Elle raconte qu'elle recevait beaucoup d'appels de gens qui lui demandaient : "Pourquoi parler d'un tel sujet dans un film qui s'est passé il y 100 ans? Vous devriez voir ce qui se passe aujourd'hui." Il s'en est suivi d'une recherche personnelle sur le sujet. "Il y a des choses à dire et à dénoncer aujourd'hui au Québec, des choses horribles", dit-elle.
La tâche n'allait donc pas être facile, il ne lui fallait pas n'importe qui. Elle avait besoin de quelqu'un d'intègre, de talentueux, de curieux et une personne qui n'a pas peur de dire les choses et d'assumer ce qu'il dit. La seule personne qu'elle avait en tête c'était Paul Arcand. Denise Robert l'a contacté pour lui présenter le projet. Paul Arcand était rétissant au début, puisqu'il ne savait même pas prendre une photo. Les indications de la productrice étaient bien claires : "Mets de côté le micro et la plume puis prends une caméra et va filmer ce que tu vois". Il a accepté avec plaisir.
Des difficultés majeures?
"Évidemment, plusieurs personnes n'ont pas voulu être interviewées par peur de perdre leurs emplois. Sinon, aucune grande difficulté majeure. Nous avons été grandement choyés. Curieusement, les entrevues ont été organisées par la DPJ, ce qui est un peu ironique. Pendant le tournage, nous avons eu beaucoup d'étonnements, car nous ne savions pas qu'il existait des salles d'isolement, que les jeunes étaient bourrés de pilules et qu'à 18 ans, ils étaient aussitôt jetés dans la rue." Paul Arcand s'est rendu au centre-ville de Montréal et en 15 minutes, il a rencontré 12 jeunes qui ont été mis dehors d'un centre de jeune à 18 ans ", nous dit la productrice. "C'est intolérable."
La vérité-choc
"Le film ne traite pas d'enfants délinquants, on parle ici d'enfants abusés. J'espère que les gens vont être enragés. Durant les campagnes électorales, entendons-nous parler des enfants? On fait des discours sur les déficits, sur la santé, sur l'éducation, mais pas sur nos jeunes. Tu ne peux demander à un gouvernement d'aimer, tu peux leur demander de créer des programmes pour eux c'est tout. On se dit qu'il y a un système qui s'en occupe, donc aucun besoin de se poser des questions."
"La vérité choque, on n'aime pas entendre les vraies choses. C'est important de surveiller ses enfants. La plupart des cas d'abus sur de jeunes victimes sont faits au sein du milieu familial. La pédophilie est très présente au Québec. C'est à nous de faire les changements et de ne pas laisser aller les choses."
L'avis de Cinoche.com
Le premier documentaire de Paul Arcand réussit avec brio sa mission principale : choquer. Pour cette raison, Cinoche.com ne croit pas qu'il soit approprié de critiquer "officiellement" un film comme celui-ci. Ici, le bon et le mauvais n'existent plus, ce n'est ni l'intention d'un documentaire, ni les attentes qu'il suscite. On ne critique pas un film comme Les voleurs d'enfance parce que la critique est un art de perception, et qu'il n'y a pas de place pour elle autour d'un sujet aussi sérieux, traité si sérieusement.
Soulevant une problématique tabou, M. Arcand va au fond des choses en n'ayant pas peur des mots et des images. Car oui, Les voleurs d'enfance comporte son lot d'images bouleversantes. Ce qui est le plus marquant, par contre, c'est que l'État semble impuissant envers ces enfants. Le film verse un peu dans le sensationnalisme et le segment avec Nathalie Simard est plutôt ennuyeux. En résulte tout de même d'une grande première œuvre qui ne laissera personne indifférent.