Il y a deux décennies prenait l'affiche Gaz Bar Blues. Un film qui allait marquer au fer blanc le cinéma québécois et qui vient d'être adapté au théâtre. Dans ce récit à saveur biographique, le gérant (Serge Thériault) d'une station-service affaibli par la maladie lutte pour maintenir en vie ce lieu où se réunit quotidiennement un petit groupe d'individus.
Cinoche.com s'est entretenu avec son réalisateur en prévision de la projection du long métrage qui se déroulera le 24 février dans le cadre des Rendez-vous Québec Cinéma.
Gaz Bar Blues fête cette année son 20e anniversaire. Il est souvent considéré, à juste titre, comme un des films québécois les plus emblématiques du 21e siècle. Cela vous fait quoi?
On reste surpris. Le film appartient au monde, au public. Tu te rends compte à la longue que tu as fait un film qui perdure dans le temps. La vérité, c'est que c'est très touchant. Quand tu fais un film, tu es juste content de le montrer, mais tu n'es pas capable de mesurer l'onde de choc qu'il va avoir. On a déjà dit que le film était comme une boîte à outils pour comprendre la société québécoise. Ça m'avait touché parce que c'est pas mal ça que je veux faire avec l'ensemble de mes films. Je pense que je porte un regard tendre sur le monde ouvrier. Tant mieux si ça parle au monde.
Selon vous, de quelles façons le film a marqué les gens?
On utilise beaucoup le terme « à hauteur d'homme ». J'ai pris du monde de la classe ouvrière et j'en ai fait des héros du quotidien. Ce n'est pas plus compliqué que ça. Si tu regardes la trame narrative de Gaz Bar Blues, il n'y a pas de rebondissements, il n'y a pas les dangers classiques. Les rouages dramatiques habituels ne sont pas appliqués. C'est une chronique du temps qui passe. Le film rejoint le monde... Quand je suis allé présenter le film à Hong Kong, les gens me disaient: « On se reconnaît beaucoup. C'est comme chez nous ». J'étais très surpris, parce que je trouve Hong Kong très différent de Limoilou. Mais ils avaient eux aussi des lieux, des ancrages dans le quartier où les gens vont jaser. Ce qu'on appelle une microcommunauté. Il y a une universalité dans la proposition.
Votre façon d'aborder la famille et les « gens ordinaire » rompait également avec ce qui se faisait à l'époque...
J'ai parlé de la famille d'une façon peut-être différente. Au cinéma, on présente beaucoup des familles qui se déchirent, qui sont dysfonctionnelles. Là, on a une famille aimante. C'est vraiment autobiographique. J'ai parlé de ma famille, de ma relation avec mes frères et avec mon père... J'ai fait de mon père un héros du quotidien, un héros typiquement nord-américain des classes populaires qui essaie juste d'avancer et d'être heureux. Ces messieurs-là étaient de grands hommes. J'ai toujours dit qu'un des grands combats de l'être humain, c'est de se lever le matin et donner sens à sa vie.
La prestation de Serge Thériault, qui était connu pour La petite vie, Les boys et Ding et Dong, est rentrée dans les annales, lui qui y incarnait un homme mélancolique.
Je voulais offrir un rôle dramatique à Serge Thériault pour changer l'image du comique. À l'époque, j'étais allé passer deux jours chez lui. On avait beaucoup échangé et parlé. Je lui avais montré des documentaires sur la maladie de Parkinson. J'avais beaucoup travaillé avec lui. Le travail a surtout été fait en amont, pendant nos rencontres, et pas sur le plateau de tournage.
On a souvent dû vous demander de réaliser un film « à la façon » de Gaz Bar Blues.
Oui. Cela a été une arme à double tranchant dans ma carrière. J'ai eu du succès assez tôt. J'avais fait Post Mortem qui avait marché et qui avait gagné des prix. Là je fais Gaz Bar Blues. À chaque fois que j'arrivais avec un sujet, le monde me disait : « C'est bien, mais j'ai mieux aimé Gaz Bar Blues ». Pendant 20 ans, j'ai eu cette étiquette-là. Même quand j'arrivais avec un western adapté d'un roman en anglais comme The Timekeeper ou un road movie sur le deuil comme Route 132. Mais je voulais essayer autre chose. Quand Les mauvaises herbes a obtenu un bon succès populaire, on a dit : « Enfin, on te reconnaît, tu es revenu à Gaz Bar Blues ». Mais non, pas du tout, je continue de faire ce que j'ai toujours fait.
Pas question alors d'en faire une suite?
Il y a du monde qui me l'a déjà demandé. J'aurais pu en imaginer une avec ces personnages-là et cela aurait donné une franchise. Mais je ne voulais pas. De toute façon, je n'ai jamais pris de bonnes décisions de carrière dans ma vie. On m'avait offert une adaptation en anglais avec les comédiens de Post Mortem et j'ai dit non. On m'avait offert d'aller à Cannes si j'enlevais une scène dans Post Mortem et j'ai refusé. Mais sur le long terme, je ne regrette rien.
Gaz Bar Blues est présenté le vendredi 24 février à 17 h 30 à la Cinémathèque québécoise. Une discussion suivra à 20 h 30 à la Buvette Crave. Détails.