Un tribunal est déjà un endroit où la justice se met en scène. Les avocats, souvent de brillants acteurs eux-mêmes, doivent user, dans les cadres de la légalité, de tout l'arsenal à leur disposition afin de gagner leurs causes. Le déroulement même d'un procès contient déjà une courbe narrative. Aussi, lorsque réalisateurs et scénaristes décident d'en mettre un en scène au cinéma, ils n'ont qu'à choisir un sujet qui saura amener un débat, un noeud éthique ou moral à démêler et, finalement, une distribution d'acteurs de talent pouvant rendre crédibles des personnages souvent manichéens.
Car si l'avocat au centre de l'histoire est le justicier, les gens contre lesquels il se bat doivent impérativement être mauvais, voire carrément détestables. C'est la base du postulat moral autour duquel l'arc dramatique s'articule (le héros a raison, voyez comme ils sont méchants!). On n'a qu'à penser à Jack Nicholson dans A Few Good Men (performance pour laquelle il a été en nomination pour l'Oscar du meilleur acteur de soutien, bien qu'il n'apparaisse que dans quatre ou cinq scènes) ou alors à Gary Oldman dans Murder in the First, où il interprète un dirigeant d'Alcatraz ayant perpétré des abus de pouvoir sordides à l'encontre de l'un de ses prisonniers (Kevin Bacon). Dans les deux films, la même mécanique : des meurtres véritables indiscutablement perpétrés par les accusés; un acquittement suite à la démonstration de circonstances atténuantes les disculpant. Ici, une certaine forme de justice s'opère, mais la morale du film est tout de même questionnable...
Par contre, ce n'est pas parce que ses opposants sont dépeints en noir que le héros est nécessairement blanc comme neige. C'est après tout un avocat, et le public ne croirait pas au personnage s'il n'était pas un brin arrogant, ambitieux, calculateur. Il doit également être faillible, sinon l'histoire serait ennuyante comme la pluie. La vérité qu'il découvre pendant son enquête doit opérer chez lui une certaine forme de rédemption : le procès n'est pas que la quête de la justice pour ses clients, c'est également une quête personnelle. C'est pourquoi, à la fin du film, on ne doute plus des qualités morales du héros.
Par contre, quelques très bons drames ont joué sur ces codes, amenant le spectateur à douter concrètement du héros jusqu'à la toute fin. Le meilleur exemple demeure Presumed Innocent, dans lequel Harrison Ford joue un procureur-adjoint accusé du meurtre de sa maîtresse, une avocate ambitieuse et sans scrupules (Greta Scacchi). Le récit en est si bien ficelé et l'enquête si nouée que, sympathisant d'emblée avec le personnage de Ford, le spectateur en arrive à croire, comme lui, qu'il est bien coupable du meurtre, bien qu'il ne s'en souvienne pas. Dans ce film, le procureur-adjoint devient l'accusé et les codes traditionnels du drame judiciaire sont renversés.
Bien qu'étant moins réussi, Primal Fear joue lui aussi sur les codes propres au genre : en plein milieu de l'histoire s'opère une refocalisation de l'identification des spectateurs. Au tout début, le héros (Richard Gere) est un avocat méprisable cherchant la gloire médiatique. C'est pourquoi il décide d'offrir ses services à un jeune homme fragile accusé d'un meurtre crapuleux, mais qui a tout de la victime (interprété par l'excellent Edward Norton). Mais l'avocat devient à son insu l'instrument du mal : manipulé outrageusement par son client, il en vient à croire en sa propre croisade, il se découvre un véritable désir de justice et finit par faire acquitter un meurtrier. Trompé, il comprendra trop tard que la justice est une notion subjective. De rébarbatif, l'avocat devient sympathique au public une fois la méprise découverte. Dans la même lignée, Just Cause avait adopté un tour de passe-passe similaire, une année auparavant. Par contre, le film a souffert d'un problème au niveau de la distribution des rôles : le choix de Sean Connery en avocat crédule et manipulable s'est retourné contre le film. Comment James Bond peut-il se laisser abuser d'une manière aussi flagrante? Dans ce cas-ci, le talent de l'acteur n'est pas remis en cause, simplement son emploi.
Car qu'il soit procureur ou avocat de la défense, le héros doit parvenir à convaincre non seulement le jury, mais le spectateur. Quant aux textes, ils doivent impérativement mettre l'accent sur le grand talent d'orateur du personnage central qui devra parvenir, le cas échéant, à faire pleurer les gens lors de la plaidoirie finale ou simplement à les convaincre qu'il a raison. Pourriez-vous imaginer quelqu'un d'autre que Nicholson crier le fameux « You can't handle the truth! » que l'on doit au scénariste Aaron Sorkin? Malheureusement, cette chimie entre le texte et son interprète n'opère pas toujours.
Dans A Time to Kill, adapté d'un livre de John Grisham (le roi incontesté du drame judiciaire), Matthew McConaughey tenait le rôle d'un avocat chargé de défendre Samuel L. Jackson des charges d'homicides retenues contre lui, alors que les tensions raciales menacent de tout faire sauter. Dans sa plaidoirie finale, dans ce qui se veut un discours percutant, McConaughey expose de manière très explicite les sévices subis par la fillette du personnage de Jackson l'ayant conduit à assassiner ses tortionnaires. Tout l'enjeu du film tient à cette scène finale et, en voyant la performance grotesque de McConaughey, on reste surpris de voir le jury, supposément raciste, acquitter un meurtrier noir sur la simple base de cette pathétique homélie. Pas surprenant que le film n'ait marché qu'aux États-Unis, malgré une impressionnante distribution...
Donnons tout de même une chance au coureur. McConaughey est de retour en cour cette semaine avec la sortie de The Lincoln Lawyer, un film dont la bande-annonce laisse deviner sans équivoque le même revirement narratif que dans Primal Fear. Reste à voir cette fois-ci si McConaughey a obtenu un rôle plus en phase avec sa personnalité et qui lui permettra, s'il ne peut briller, d'être au moins crédible. Car au final, quand le tribunal devient le lieu du drame, on peut mettre en scène ce qu'on veut, en autant que la justice triomphe...