Pour plusieurs réalisateurs et producteurs hollywoodiens la cote R (Restricted - les jeunes de moins de 17 doivent être accompagnés d'un adulte), qui se compare à notre 13 ans et plus, est un classement redouté au fort impact sur le box-office. Chaque année, de nombreuses productions doivent être retravaillées en salle de montage pour éliminer certaines scènes trop violentes ou trop osées. Le dernier opus de la franchise Twilight, par exemple, qui promet quelques séquences salaces, devra être considérablement épuré s'il veut conserver son titre d'« oeuvre pour adolescents ». Mais bien que ce classement soit appréhendé par beaucoup de créateurs, certains, comme Todd Phillips, font fortune en jouant avec ce côté restrictif et répressif de la fiction. Il nous prouve à nouveau son audace, sa grande désinvolture avec son plus récent film The Hangover Part II, qui a pris l'affiche jeudi dernier.
Todd Phillips, âgé de 40 ans, a plus de sept longs métrages à son actif; toutes des comédies classées R ou PG-13 (la présence d'un adulte est recommandée). Son premier long métrage Road Trip, qui a été relativement bien accueilli par la critique malgré sa trivialité, a récolté 68 millions $ en Amérique du Nord et plus de 50 millions $ dans le reste du monde; des chiffres respectables si on considère le menu budget de 16 millions $ et la moindre valeur du dollar il y a dix ans. Le New Yorkais d'origine nous a, par la suite, donné Old School, qui mettait en vedette Will Ferrell et Vince Vaugh, Starsky and Hutch, inspiré d'une série télévisée des années 70 et School for Scoundrels, qui a été le moins populaire de sa filmographie avec seulement 17 millions $ au box-office nord-américain. C'est bien entendu The Hangover, cette rafraîchissante comédie s'étant classée en sixième place des films les plus populaires de l'année 2009, devant Star Trek et Sherlock Holmes (malgré son classement diminutif), qui a assuré à Phillips un statut important dans le monde de la comédie américaine.
Les attentes étaient, évidemment, énormes envers le film suivant, Due Date. Malgré les critiques mitigées, qui s'attendaient à être à nouveau séduites par la qualité des textes et l'efficacité de l'humour, mais qui sont, pour la plupart, restées sur leur faim, le film a tout de même connu un succès honorable en salles avec des recettes de 100 millions $ chez nous et 111 millions $ à l'international. Si les exigences et les espoirs étaient élevés pour Due Date, ils sont démesurés pour la suite de The Hangover.
Il est plus ardu qu'on pourrait le croire de produire une comédie cotée R sans tomber dans le cliché et le mauvais goût. Le scénariste chargé de rédiger les textes de ce genre de production doit travailler sur l'élément de surprise et l'originalité de l'histoire pour déstabiliser son public et le charmer - Phillips est parvenu à cet exploit, entre autres, en introduisant un tigre du Bengale dans la salle de bain d'une suite du Caesar Palace à Las Vegas et un chinois nu et enragé dans le coffre d'une voiture de luxe (pour être imprévisible, c'était imprévisible). Le cinéaste joue avec la grossièreté, l'obscénité, jusqu'à la pousser aux limites de l'acceptable - présenter à l'écran un groupe d'adultes enivrés kidnapper un moine hindou handicapé et le forcer à consommer de l'alcool et le laisser au centre d'une émeute, c'est limite. Et pourtant, malgré toute l'impertinence du geste, l'insolence du propos, on réussit à faire rire la foule confondue tout en évitant les poncifs traditionnels de pets, de poils et de crottes de nez.
Todd Phillips et le scénariste/réalisateur/producteur Judd Apatow (The 40 Year Old Virgin, Knocked Up, Superbad, Forgetting Sarah Marshall) sont les deux maîtres de la comédie américaine moderne; les deux osent ce que bien d'autres n'ont jamais eu le courage (ou l'impertinence) de faire. Alors que nous savions que la stupidité était payante, les cinéastes ont réussi à prouver qu'elle pouvait être intelligente et devenir un art de subtilité et de rythme. Il fallait des êtres courageux - ou idiots; tout est une question de point de vue - pour se risquer dans un humour aussi cru et déjanté. On parle souvent de l'angle « artistique » du cinéma et, contrairement à ce que croient certains intellectuels et puristes du cinéma, il n'est pas impossible que la comédie impudente, lorsqu'elle est réalisée avec finesse et perspicacité, soit une forme d'art.