Bien de l'encre a coulé pour ce projet longtemps attendu, les rumeurs se sont succédées, provenant de diverses sources et le film espéré par les tintinophiles (ceux qui aiment Tintin) a enfin pris l'affiche ce vendredi. Une véritable saga qui voit son aboutissement près de trente ans plus tard.
C'est en 1983 que Steven Spielberg commence à s'intéresser aux aventures du reporter belge et il achète alors les droits pour en faire une adaptation au cinéma. En 1983, la carrière Spielberg prend son envol à Hollywood, ayant enchaîné des succès comme Jaws, Raiders of the Lost Ark et E.T.: The Extra-Terrestrial. À l'époque, les ayants droit de la succession d'Hergé sont emballés à l'idée de voir le jeune réalisateur s'occuper du projet. Par contre, les choses n'allaient pas assez rapidement à leur goût et après quelques années, ils demandent à Spielberg de leur recéder les droits.
Spielberg ne voyait plus à l'époque l'intérêt de transposer en film les aventures de Tintin, d'autant que la série Indiana Jones, selon ses propres dires, s'en inspirait déjà beaucoup. Or, Indiana Jones a connu un succès monstre et d'autres projets ont commencé à être proposés au jeune réalisateur qui a connu une carrière extrêmement prolifique pendant les années 80 et 90, multipliant des titres populaires s'intéressant à des thèmes chers à son coeur (la guerre, l'enfance).
Parallèlement à la montée prodigieuse de l'étoile Spielberg au firmament d'Hollywood, le projet de faire un long-métrage avec Tintin dort sur les tablettes, jusqu'à ce que le réalisateur Jean-Pierre Jeunet (Le fabuleux destin d'Amélie Poulain) manifeste son intérêt. À l'époque, les gestionnaires de l'oeuvre d'Hergé sont plus ou moins réceptifs puisqu'ils espèrent toujours intéresser les Américains, ce qui fait fulminer les fans d'Hergé qui y voient un manque de vision. Malgré cela, c'est en 2002, vingt ans après avoir pris une première option sur les droits d'adaptation, que Spielberg ressuscite une fois de plus le projet.
Depuis, de fausses rumeurs ont surgi périodiquement, alors que le réalisateur restait prudent et silencieux sur les avancées de ses démarches. C'est en compagnie de Peter Jackson, l'homme derrière l'adaptation magistrale de la trilogie The Lord of the Rings, que Spielberg annonce le début de la préproduction d'un long-métrage d'animation, entièrement fait grâce au procédé de performance capture, un dérivé de la capture de mouvement, de plus en plus en usage au grand écran (Avatar, Rise of the Planet of the Apes). Après maints faux départs, des déboires financiers et une grève de scénaristes, le tournage peut commencer.
Mais en septembre 2008, Universal fait volte-face et se désiste du projet. C'est finalement Paramount qui sauve in extremis le long métrage, garantissant l'intégralité du financement (130 millions $) et en janvier 2009, la production entre en chantier. Le choix des albums adaptés pour le premier film de Tintin est annoncé : c'est finalement le diptyque formé par les albums Le secret de la Licorne et Le trésor de Rackam le Rouge, qui fera l'objet du film.
Or la saga ne s'arrête pas là. Le choix de Jamie Bell pour incarner le protagoniste ne fait pas l'unanimité parmi les fans et la participation d'Andy Serkis, bien que prévisible puisque l'acteur s'est créé une niche particulière dans l'industrie florissante de la performance capture, ne plaît pas à tous. Et c'est sans compter les choix particuliers faits pour le lancement de l'oeuvre...
Dans le contexte actuel où le piratage est roi sur Internet, le fait de sortir le film en Europe plusieurs semaines avant le lancement aux États-Unis est risqué. Car au lieu de laisser croire à une stratégie marketing qui aurait permis au film de gagner en popularité avant son lancement nord-américain, peut également donner l'impression que Paramount n'a pas l'espoir de rentabiliser le film dans son marché intérieur et que le studio mise plutôt sur les recettes à l'international. Ce désaveu implicite, soit l'utilisation d'une stratégie de lancement fort inhabituelle pour un major, pourrait s'avérer fatal au film (et à ses suites) et donne presque l'impression d'un sabotage volontaire.
Il fallait s'y attendre. Après tout Tintin, qui jouit d'une grande notoriété en Europe et au Québec, demeure pratiquement inconnu aux États-Unis. Question de culture. Une sortie européenne antérieure devait servir à susciter la curiosité du public américain pour une nouvelle histoire, mais le pari est risqué, d'autant plus que le film, dans son traitement même, n'a pas de visage « humain » connu auquel l'auditoire états-unien puisse s'identifier. Le film ne peut donc surfer que sur la seule notoriété de ses créateurs. Malgré un succès respectable en Europe, près de cinq millions d'entrées en France seulement, le succès de The Adventures of Tintin n'est pas garanti ici. Surtout que, comme à son habitude, Spielberg s'est assuré que le doublage de son film exploité au Québec serait le doublage fait en France... une nouvelle controverse qui s'ajoute au reste!
N'empêche que Jackson et Spielberg entendent bien produire une trilogie à partie des trois diptyques de la série Tintin. Le réalisateur de The Hobbit devrait vraisemblablement réaliser le prochain film qui, selon les rumeurs, sera basé sur les albums Les 7 boules de cristal et Le temple du soleil. Par contre, c'est le box-office final de ce premier opus qui fera pencher la balance. Comme quoi, même pour Steven Spielberg et Peter Jackson, rien n'est gagné d'avance à Hollywood, là où le diktat des profits fait et défait des carrières à tous les jours...