Il y a quelques semaines, lors de l'avant-première publique de Scott Pilgrim Vs. The World au AMC Forum de Montréal, on a présenté avant le film la bande-annonce de Devil, qui a pris l'affiche hier sur plus de 2700 écrans en Amérique. Devil est un film d'épouvante qui se déroule dans un ascenseur (pour faire court), qui ne met pas en vedette un seul acteur très connu et qui est réalisé par Drew et John Erick Dowdle, deux individus qui sont probablement très gentils et qui sont très connus dans leur famille mais qui n'ont pas une grande valeur marketing. Or, même si le scénario a été écrit par Brian Nelson (qui est sans doute bien gentil lui aussi), il semblerait que l'histoire du film ait été développée par M. Night Shyamalan, le réalisateur bien connu derrière The Sixth Sense, The Village et récemment The Last Airbender. Voilà qui permet une campagne de promotion bien plus inspirée : on a déjà un public, on peut s'adresser directement à lui et on peut même attirer l'attention de spectateurs potentiels avec un nom connu (en théorie). C'est déjà plus rassurant pour les bâilleurs de fonds et le film peut même espérer faire un peu d'argent au box-office. En tout cas davantage que si on avait misé sur Drew et John Erick.
Cette stratégie de mise en marché n'est pas nouvelle, et elle porte parfois à confusion. Parmi les exemples récents, notons celui de District 9, un film réalisé par Neill Blomkamp mais « produit » par Peter Jackson (un nom parmi une bonne douzaine des producteurs, producteurs exécutifs et co-producteurs). On avait donc publicisé le nom de Jackson sur affiches et bandes-annonces, et lors de la sortie du film, de nombreux spectateurs ont acheté un billet pour voir « le nouveau film de Peter Jackson. » Cette confusion n'était certainement pas pour déplaire au distributeur, qui profite grandement de la notoriété de ce dernier.
De la même manière, Guillermo Del Toro, réalisateur de Hellboy et de Pan's Labyrith, avait parrainé la sortie du long métrage espagnol El orfenato, en 2007 en agissant à titre de producteur. La campagne publicitaire a beaucoup misé sur l'ambiance luxuriante propre au réalisateur qu'on retrouve aussi dans le film, qui a finalement amassé 7,1 millions $ aux États-Unis et au Canada.
La méthode atteint parfois ses limites : on a pu lire le nom de James Cameron (réalisateur des deux plus gros succès de tous les temps au box-office mondial, ce n'est pas rien) dans la campagne de promotion de Resident Evil: Afterlife en 3D (sur les écrans depuis la semaine dernière) simplement parce qu'on avait utilisé une caméra développée par sa compagnie. James Cameron n'est impliqué dans aucun aspect de la production ou de la réalisation du film, pourtant combien de spectateurs sont allés voir le film à cause de la curiosité qu'ils ont envers son travail?
En 2001, lors de la sortie nord-américaine du film Iron Monkey (un film chinois réalisé en 1993 qui est le douzième film en langue étrangère le plus rentable en Amérique de tous les temps), on avait engagé Quention Tarantino pour « endosser » le film, qui a finalement amassé 14 millions $ au box-office nord-américain, un résultat inespéré pour un film étranger sur le sol américain. On a répété l'expérience en 2004 avec Hero, de Yimon Zhang, que Tarantino a aussi « présenté » (c'était quelques mois seulement après la sortie de Kill Bill Vol. 2, il était donc au faîte de sa popularité). Le film a amassé 53,7 millions $ en Amérique du Nord. Un succès inattendu qui le place au troisième rang des films en langue étrangère les plus rentables sur le territoire nord-américain.
Lorsque l'utilisation d'un parrain permet de faire découvrir de nouveaux talents qui, sans eux, n'auraient pas l'attention médiatique nécessaire pour faire voir leurs oeuvres à un public plus large, la stratégie semble se justifier d'elle-même. La découverte est l'un des plaisirs inhérents au cinéma, et les cinématographies internationales ont souvent un regard différent à porter sur le médium. Mais lorsqu'Hollywood utilise le « nom » d'un réalisateur rentable pour sauver un film sans fraîcheur ni invention de l'oubli général, la manoeuvre est basse. Il est logique de vouloir voir les oeuvres récentes d'un réalisateur qu'on apprécie, mais jouer sur la confusion entourant la « paternité » de certains films ne rend service à personne; pas même au film, au fond, puisque les spectateurs risquent d'être déçus parce qu'on aura faussé leurs attentes.
D'autant qu'il n'est pas certain que cette stratégie marketing aura bien servi le distributeur de Devil, puisque lorsqu'on a pu lire « From the mind of M. Night Shyamalan » dans la bande-annonce présentée il y a quelque semaine à l'avant-première, la salle entière qui attendait pour voir Scott Pilgrim Vs. The World a éclaté de rire d'un seul souffle. Je ne crois pas que beaucoup d'entre eux iront voir Devil cette fin de semaine, malgré toute la bonne volonté du distributeur. Ils n'ont pas pardonné à M. Night Shyamalan ses récents égarements. Mais, au fond, ce n'est certainement pas une si mauvaise stratégie non plus : combien d'entre-vous ont cliqué sur le lien pour lire ce texte simplement parce qu'il y avait « M. Night Shyamalan, Quention Tarantino, Peter Jackson, Guillermo Del Toro, James Cameron. » dans le sous-titre?