Le film à sketchs français Les infidèles a pris l'affiche dans les salles québécoises hier. En plus d'être un regroupement de plusieurs saynètes sur le thème de l'infidélité, il réunit plusieurs réalisateurs - certains amateurs, d'autres plus expérimentés - au sein d'une même production. La comédie de moeurs peut se vanter d'être inusitée dans sa manière de procéder puisqu'une affiliation d'autant de cinéastes pour une même production est une pratique plutôt rare dans le cinéma « conventionnel ». Emmanuelle Bercot, Fred Cavayé, Alexandre Courtes, Jean Dujardin, Michel Hazanavicius, Éric Lartigau et Gilles Lellouche ont tous, à un moment où à un autre, chapeauté une partie de cette oeuvre composite, qui ressemble, à certains moments, davantage à un spécial d'une heure d'une série télévisée que d'un long métrage cinématographique. L'un des risques de faire un film à sketchs...
L'avantage principal d'une alliance de ce type se trouve dans la diversité. Ce n'est pas qu'une seule vision, qu'un seul point de vue qui est dévoilé dans le film, mais bien celui d'un groupe de personnes qui souvent, comme c'est le cas avec Les infidèles, proviennent de mondes différents. Un acteur ou un scénariste n'utilisera probablement pas les mêmes techniques et la même approche qu'un réalisateur d'expérience qui connaît les pièges et les secrets de son métier. Comme le précise Jean Dujardin dans le communiqué de presse des Infidèles : « Ils n'étaient pas interchangeables. Nous avons à la fois choisi les réalisateurs par affinité et pour ce qu'ils pouvaient apporter aux histoires. Nous leur avons proposé ce qui correspondait le mieux à leurs univers. » L'acteur, scénariste et, maintenant, cinéaste, a, par exemple, choisi Alexandre Courtès, un réalisateur principalement connu pour son travail dans le monde du vidéoclip, pour superviser les séquences très courtes qui s'intercalent dans les histoires plus longues. « En associant des talents aussi variés, notre but était d'offrir différentes couleurs au film », conclut-il.
On cherche la diversité, certes, mais on désire également une certaine cohésion entre les récits. Parlez-en à Jan Kounen qui a vu son segment des Infidèles être coupé au montage. « L'univers de Jan, flamboyant et démesuré, ne s'inscrivait pas dans la tonalité générale, assez réaliste de l'oeuvre », explique l'un des initiateurs du projet, Gilles Lellouche. Le principal intéressé est assez amer face à la décision des auteurs, qu'il croit purement économique. « Tout ce que je sais c'est qu'un jour au téléphone, Jean m'a dit : Jan, si on met ton sketch, on va perdre 40% des entrées en deuxième semaine », a déploré le réalisateur de 99 F en entrevue avec un magazine français.
Bien que peu utilisée au sein du cinéma contemporain, cette pratique ne date tout de même pas d'hier. En 1967, la comédie parodique Casino Royale avait requis l'expertise de Robert Parrish, Joseph McGrath, John Huston et Val Guest et en 1995, le film Four Rooms, qui dépeignait l'histoire d'un valet de chambre qui était contraint à un monde différent chaque fois qu'il ouvrait une nouvelle porte de l'hôtel où il travaillait, avait sollicité le talent de brillants réalisateurs tels que Robert Rodriguez et Quentin Tarantino. Ces deux derniers se sont également associés en 2007 pour le film Grindhouse, qui comportait deux segments (Planet Terror et Death Proof), chacun dirigé par l'un des deux cinéastes. D'autres réalisateurs avaient également proposé une série de bandes-annonces parodiques entre les deux films.
Robert Rodriguez avait, quelques années plus tôt collaboré avec Frank Miller pour son Sin City. Cette coopération entre le réalisateur de Spy Kids et le dessinateur en est une des belles et mémorables de l'histoire récente du cinéma puisque de cette dernière a su émerger un mélange intéressant entre la bande-dessinée et le septième art. Un alliage que Miller a tenté de reproduire avec The Spirit, mais n'y est, malheureusement, pas parvenu. Les deux hommes seront de retour derrière la caméra ensemble pour la suite de Sin City, titrée Sin City: A Dame to Kill For, prévue (enfin!) pour le 4 octobre 2013.
On peut difficilement parler de groupes de réalisateurs sans glisser vers le monde de l'animation, qui utilise fréquemment cette technique. Encore ici, on tente souvent d'allier deux ou trois artistes qui proviennent de milieux distincts, souvent un qui a davantage de connaissances techniques et un autre qui a de l'expérience en réalisation. Le film Shark Tale est un bon exemple de cette recette. Bibo Bergeron, Vicky Jenson et Rob Letterman étaient à la tête du projet. Bergeron avait travaillé par le passé au département d'animation de quelques productions, Jenson avait réalisé le premier Shrek, alors que Letterman, qui rédigera plus tard les textes de Monsters vs Aliens, a apporté ses talents de scénaristes au collectif. Les trois Shrek, les trois Madagascar, Ratatouille, Cars et Cloudy with a Chance of Meatballs font aussi partie de la longue liste des films d'animation réalisés par un ensemble.
Même le Québec a tenté sa chance dans le collectif il y a deux ans grâce au drame Lucidité passagère, inspiré de la pièce de théâtre éponyme de Martin Thibaudeau. Même si l'oeuvre a été accueillie assez positivement par la critique, elle n'a fait que très peu de vagues et est passée, tout compte fait, sous le radar de bien des cinéphiles. Évidemment, il n'y a pas que des points positifs à un film communautaire. Le réalisateur, habitué d'être roi et maître de son plateau, risque fort de vivre une expérience peu agréable s'il doit céder sa place de temps à un autre. Il faut aussi savoir garder l'esprit ouvert puisque l'on peut associer son nom à une production qui, au final, ne reflètera guère notre vision et nos valeurs (sans parler qu'il faut séparer le cachet!). Il y aura toujours ces marginaux qui, de temps à autre, décideront de faire « un trip de gang » et partageront le siège du réalisateur, mais rien n'indique que la coopération est la nouvelle mode du septième art contemporain.