Historiquement, les films d'horreur, dont le genre tire sa source des films gore de série B dans les années 60 et 70, ont rarement flirté avec des budgets faramineux. L'hémoglobine n'est pas chère lorsque le sirop de maïs et le colorant végétal font le travail... et que les acteurs engagés pour jouer n'en sont pas vraiment. Mais depuis le milieu des années 80, l'enflure systématique des budgets de film provoquée par une surenchère à Hollywood a donné à l'horreur les moyens nécessaires pour atteindre un niveau de qualité équivalent aux autres films. Par contre, les studios se rendent de plus en plus compte que, bien que ces titres à l'esthétique parfaite fonctionnent bien, ce sont les titres ingénieux, à petits budgets, qui demeurent les plus rentables.
Après tout, quand le budget est petit, le risque pour le studio l'est également. Or, le potentiel de rentabilité est énorme, surtout quand le film est distribué auprès des leaders d'opinion, des geeks, des fans du genre. Ces derniers possèdent pour la plupart les VHS de leurs oeuvres favorites, des films qui, à l'époque, avaient coûté des « pinottes » à produire et qui sont depuis devenus des films cultes. On n'a qu'à penser aux films de George A. Romero (Night of the Living Dead, Dawn of the Dead, Creepshow), à la trilogie de Sam Raimi (The Evil Dead, Evil Dead II, Army of Darkness) et aux bonnes vieilles franchises Friday The 13th et Halloween, tous des films dont le budget allait de minuscule à moyen, dont plusieurs sont sortis sur VHS directement ou, à tout le moins, qui ont connu dans les années 80 une bien plus grande popularité dans les clubs vidéo qu'en salles.
Les studios en viennent à comprendre qu'il existe un marché pour ce genre et qu'avec un produit de qualité, la possibilité d'attirer de nouveaux auditoires dans les cinémas peut représenter un potentiel de revenus très intéressant. Avec les A Nightmare on Elm Street, The Amityville Horror et Poltergeist commence la période des gros films d'horreur industriels. Ce sont de bons films, bénéficiant d'un meilleur budget et donc, de scénarios plus étoffés, d'effets spéciaux de qualité et d'acteurs professionnels capables de transmettre une palette d'émotions plus nuancée, mais qui, en adoptant une esthétique plus lisse, n'interpelle pas autant le noyau dur de fanatiques.
Or, il n'a fallu qu'un film pour renverser la vapeur, un croisement étrange, issu du monde de la vidéo, mais dont le succès inattendu en salles a contribué à l'essor de l'horreur dans nos cinémas. The Blair Witch Project a été le vecteur d'une renaissance pour le genre, d'un retour au film artisanal, à l'esthétique réaliste, mais cette fois, sans gore ni nudité. Les mécanismes de la peur sont ici instillés par une synergie entre les mouvements de caméra, le jeu convaincant et sobre d'acteurs inconnus, le grain cheap de la vidéo et l'ambiance oppressante, contenue dans le cadre. Point tournant dans le statut de l'horreur, Blair Witch a ébranlé les fondements même de l'industrie qui depuis plusieurs années investissait dans des films d'horreur sages et dont la recette éculée, d'ailleurs savamment exposés de manière humoristique par Wes Craven dans la franchise Scream, a tout bonnement été abandonnée suite aux résultats impressionnants que The Blair Witch Project est allé chercher au box-office (248 639 099$ de revenus internationaux pour un budget estimé à 60 000$ (IMDb) soit un rendement rocambolesque de 4144 %).
Depuis, plusieurs titres, à petit budget, ont connu une popularité et un très haut rendement, grâce à un meilleur usage de l'Internet et à une mise en marché savamment orchestrée. On n'a qu'à penser au premier Paranormal Activity (budget 15 000 $, box-office mondial 193 355 800 $) et à ses suites, Paranormal Activity 2 et 3 qui, tout en bénéficiant de budgets nettement supérieurs au premier opus (respectivement 3 M$ et 5 M$), ont quand même obtenu des revenus monstrueux équivalant à plus de 40 fois leur budget initial.
Ces succès répétés ont incité Paramount à créer une nouvelle division (Paramount Insurge) dont la mission est le développement et la mise en chantier de longs métrages d'horreur à micro-budgets. The Devil Inside, l'un des premiers titres issus de cette nouvelle écurie, a récolté un impressionnant box-office mondial de plus de cent millions, alors que le budget de production était d'à peine un million. Parallèlement, Warner Bros. a également commencé à se positionner dans le monde du film à petit budget avec le thriller The Roommate. Par contre, pour obtenir des succès d'horreur équivalents à ceux de Paramount, Warner devra prendre davantage de chances en engageant de nouveaux talents et en acceptant qu'aucun gros nom ne garnisse l'affiche. Car pour le studio dont les principaux succès des dernières années reposent sur des franchises comme Batman, Harry Potter, Sex and the City et Sherlock Holmes, s'éloigner des valeurs sures et sortir de sa zone de confort demeure difficile.
Avec la sortie ce week-end de Chernobyl Diaries , le studio a misé sur Oren Peli, créateur derrière les Paranormal Activity, pour lui concocter un film à succès avec un budget moyen. Or, le pari n'est pas si risqué si l'on considère que le réalisateur a déjà fait ses preuves avec des micro-budgets. Finalement, c'est peut-être en comédie que le studio devra plutôt occuper le marché, comme en témoigne le succès récent de The Hangover, car après tout, le marché du micro-budget commence à peine à se définir.