Lorsque The Expendables est sorti en salles en août 2010, je ne crois pas qu'on s'attendait à ce qu'il fasse 2,4 millions $ au Québec. Après tout, il mettait en vedette de vieux acteurs dont l'étoile avait depuis longtemps pâli, et dont le retour dans un film d'action laissait bien des gens dubitatifs. L'effort relevait presque du pathétisme; Sylvester Stallone n'ayant pas cartonné au box-office depuis des siècles, il avait décidé de s'entourer d'une distribution à tout casser, allant chercher Jet Li et Jason Statham, beaucoup plus en vogue, pour l'appuyer dans sa démarche, et avait misé sur des caméos de Bruce Willis et Arnold Schwarzenegger pour mousser sa promo. Et le pari a réussi : de has-been, Stallone est parvenu à redémarrer sa carrière et à créer un momentum en puisant dans un public de nostalgiques élevés dans les années 80 pour qui aucun effet numérique ne peut égaler une bonne vieille explosion pyrotechnique.
Mais pour moi, la véritable surprise est arrivée par un bel après-midi d'octobre de la même année 2010. Sans aucune attente, je m'étais rendue au cinéma Côte-des-Neiges pour voir Red. Ce film, tiré d'un graphic novel et mettant en vedette Bruce Willis, sorti en catimini, n'avait pas eu beaucoup de publicité. Je m'étais dit : « Bon, encore un film dont l'histoire tourne autour de vieux agents retraités - oui, mais c'est John McClane! - qui reprennent du service ». Et, ô surprise - ce film m'a littéralement emballée: un scénario (relativement) intelligent, des dialogues (absolument) savoureux, des scènes d'actions (qui font pousser des « Hooooo ! » de satisfaction) et de très grands acteurs investis de rôles atypiques - je parle de John Malkovich en cinglé et d'Helen Mirren en dangereuse espionne - judicieusement choisis pour appuyer un Bruce Willis à l'aise dans un rôle qu'il connaît comme le fond de sa poche: celui d'un type un peu paumé qui veut la paix et qui se retrouve précipité dans une succession d'obstacles incroyables desquels il triomphe, avec cynisme et désinvolture. À mon sens, Red est, en quelque sorte, un bien meilleur successeur à la série Die Hard que la grotesque parodie qu'était A Good Day to Die Hard, et Red 2 qui sortait ce vendredi, reprend l'humour mordant du premier film. Je parierais ma chemise que le public sera fidèle au rendez-vous.
Car ce public mélancolique dont je fais partie est prêt à payer le prix pour revoir ses anciens héros se taper sur la gueule - et au diable le scénario! - tant que l'effet cool et la nostalgie, par l'ajout de caméos ou de citations directes à des classiques des années 80, est au rendez-vous. Allez-y, prenez mon argent! En effet, qui n'a pas poussé un « OH OUI! » senti quand, dans The Expendables, Schwarzenegger nous a gratifiés d'un « I'll be back. » bien placé? Et l'effet cool n'est pas là que pour les gens de ma génération: les jeunes sont également fascinés par une époque qu'ils n'ont pas connue et qui regorge de classiques qui ont été revisités par la culture populaire de nombreuses fois, entre autres par les Simpson, les Griffin et les South Park, des dessins animés adulés que les jeunes connaissent très bien.
Et depuis le début de l'aventure Expendables, Stallone a été très astucieux. Chaque suite qu'il produit gravit un échelon de plus sur l'échelle de la nostalgie et intègre, d'une manière ou d'une autre, les désirs exprimés par les fans. On n'a qu'à penser à l'annonce faite cette semaine que Mel Gibson incarnerait le méchant dans The Expendables 3 et qui a suscité une pléthore de réactions positives sur Internet. Cette nouvelle vient à point nommé pour un acteur qui a connu des frasques médiatiques dans les dernières années, mais qu'un public nostalgique, dont Lethal Weapon est l'un des films cultes, apprécie néanmoins toujours autant. Entre chaque film, les débats font rage sur Internet pour savoir qui doit être ajouté au générique du film suivant, ce qui crée une relation privilégiée entre une franchise, ses créateurs et l'auditoire.
Disons-le sans détour, par des films sans véritable prétention, qui, en plus d'exsuder la testostérone, sentent la colonie de vacances pour acteurs has-been, Stallone a réussi à remettre à l'avant-scène des vedettes plus ou moins talentueuses que l'on n'avait pas vues dans un long métrage depuis des lustres... Beaucoup de choses se sont écrites sur Internet concernant Chuck Norris et ironiquement, sa notoriété est plus grande maintenant qu'à l'époque où il faisait véritablement des films; Stallone a judicieusement exploité ce phénomène social dans The Expendables 2. Et les rumeurs vont bon train pour le troisième chapitre. En plus des confirmations pour Milla Jovovich, Jackie Chan et Wesley Snipes (Blade sort à peine de prison), le film pourrait inclure Nicolas Cage (dont la carrière est en chute libre depuis... dix ans?) et Steven Seagal (ah oui, le spécialiste d'aïkido qui court comme une jouvencelle et qu'on avait pratiquement oublié...). Que ceux qui veulent profiter de l'occasion pour se refaire une carrière le fassent, il y a de la place... et il y a de la place parce que Stallone est toujours à l'écoute de son public.
Ce public nostalgique qui, comme moi, a grandi en pyjama en écoutant Commando et s'est entraîné avec Rocky le samedi après-midi, alors que les films passaient à la télévision, est un auditoire que les studios avaient grandement sous-estimé, mais qu'il prend désormais très au sérieux. Les séries The Expendables et Red sont la preuve que « y'a pas d'école comme la vieille école ». On n'a qu'à voir l'excitation manifestée par les fans de Star Wars suite à l'annonce par Disney du grand retour d'Harrison Ford, Carrie Fisher et Mark Hamill dans leurs rôles respectifs pour le septième opus. Disney, qui a aussi bercé notre enfance, a bien compris que quiconque contrôle la nostalgie des uns contrôle aussi leurs portefeuilles...