Jules Verne l'a immortalisé, Einstein l'a expliqué, Hollywood l'a rentabilisé. Le voyage dans le temps fait certes rêver et propose une infinité de manières pour raconter des histoires qui sortent de l'ordinaire, mais il pose également de graves problèmes au niveau de la cohérence du récit en complexifiant la logique narrative. Les scénaristes n'étant pas tous aussi doués pour gommer les invraisemblances que le voyage dans le temps présuppose, certains films s'avèrent particulièrement bancals lorsqu'on les examine de plus près. Certains autres cependant résistent au passage du temps...
Le dernier venu, Looper, qui prend l'affiche cette semaine, aborde une problématique éthique du voyage dans le temps en confrontant deux versions du même personnage dans une course contre la mort. Si la version jeune désire éliminer son double plus âgé afin de récupérer sa vie, cette autre version de lui-même est plutôt perdue dans une quête de vengeance dans le but d'assassiner, de manière préventive, celui qui sera responsable de la mort de sa femme. Le film montre, assez habilement et de manière concrète, la relation entre le présent et l'avenir lors d'une scène de torture visuellement marquante et particulièrement bien trouvée. La fin, bien qu'un peu décevante au niveau de la catharsis, boucle la boucle, et le fait que l'avenir du personnage de Joe, en définitive, ne puisse être véritablement affecté que par le jeune Joe, celui du « présent », est très porteur au niveau symbolique. Malgré une logique solide, l'un des principaux problèmes du scénario réside dans le fait que le point de vue adopté est pratiquement toujours celui du jeune Joe et que la quête de son double, incarné par Bruce Willis, est mal justifiée au scénario. Son explication, pourtant logiquement tout à fait saine, est précipitée et insuffisante pour pouvoir en apprécier véritablement l'impact.
Avec Looper, c'est la deuxième fois que Bruce Willis participe à un film qui aborde le voyage dans le temps. Dans 12 Monkeys, Terry Gilliam avait très bien réussi à éviter les principaux écueils qui guettent les scénaristes désirant établir une histoire basée sur cette thématique. Son film, particulièrement cohérent dans la trame, maintient le mystère sur le dénouement de la quête du personnage principal. Par un habile mécanisme de focalisation qui joue avec le point de vue du spectateur et ne lui permet d'avoir que l'information détenue par tel ou tel personnage à tel ou tel point du récit, Gilliam réussit à créer un univers troublant et intrinsèquement logique. La fin ambiguë réussit également à évacuer toute réponse facile par rapport à la réussite ou à l'échec du personnage et ainsi, la réponse du film, quant à l'avenir de la race humaine, incertain, est détenue par le spectateur. Ultimement, le point de vue, la clé de l'énigme, n'est plus détenue par l'un des personnages, mais par la personne qui visionne le film. C'est un tour de force, et une illustration puissante de la réalité : personne ne connaît véritablement le futur tant qu'il ne l'a pas vécu et l'optimisme ou le défaitisme teinte notre perception et influence notre avenir.
Une telle subtilité est évidemment absente de la franchise Terminator, initiée par James Cameron. Bien que le propos y soit tout de même intéressant, le nombre incalculable d'invraisemblances sur lesquelles la franchise repose rend son analyse quelque peu laborieuse. Que Skynet envoie dans le passé un robot tueur afin d'éliminer la mère du chef de la résistance avant qu'elle ne mette au monde John Connor, c'est une chose. Que Connor envoie lui-même un homme - qu'il sait être son père - pour protéger sa mère et assurer sa propre existence rend la démarche absurde. Si Skynet n'avait envoyé aucun tueur dans le passé, Connor ne serait probablement jamais né. Et alors, adieu franchise! D'autant plus que le constat de la franchise est défaitiste : peu importe le nombre de voyages dans le passé pour modifier les choses, le futur est tracé, on ne peut y échapper. Le principal problème de la franchise Terminator est peut-être, au bout du compte, d'envisager le voyage dans le temps comme un outil pour modifier l'avenir et ensuite d'en diminuer l'impact en insistant sur l'inutilité d'une telle mesure.
Plus optimiste, The Butterfly Effect ressort du lot, principalement dans son traitement du voyage dans le temps. Ici, le corps ne voyage pas, seul l'esprit voyage. Malgré ses nombreuses lacunes et des raccourcis dramatiques parfois agaçants, The Butterfly Effect est le seul film qui tient compte d'une absurdité logique posée par le voyage dans le temps : le fait qu'une personne puisse être à deux places en même temps (sans oublier l'invraisemblance de ne pas savoir ce que son double est en train de faire au moment même où il le fait considérant que les deux doubles vivent dans le même présent). Le long-métrage de Eric Bress et J. Mackye Gruber prend pour hypothèse qu'il est possible de régler des problèmes en retournant dans le passé, lorsque l'on possède les informations nécessaires pour influencer positivement les évènements, mais il démontre aussi que des sacrifices ou des choix déchirants sont posés au voyageur qui désire changer sa vie. La force du film est, à mon sens, l'illustration visuelle de l'implantation de souvenirs modifiés que le personnage subit suite à chaque intervention. Mais le fait de nous montrer que d'un voyage à l'autre, le personnage de Ashton Kutcher se souvient également des autres réalités antérieures est peut-être, en bout de ligne, l'illustration des limites d'un scénario autrement plutôt habile.
Évidemment, impossible de passer à côté de Back to the Future et de ses suites. La trilogie de Robert Zemeckis, devenue depuis un classique de la science-fiction, est plus un prétexte pour des mises en scène de film d'époque (rétro dans les années 50, un futur fantasmé, un western de la fin du XIXe siècle) qu'à proprement parler un film sur les implications du voyage dans le temps. Même si Doc discute avec Marty des possibilités néfastes du voyage dans le temps dans le premier film, c'est véritablement dans le second que Zemeckis aborde le noeud du problème. Malheureusement, certaines incongruités apparaissent dans le second film qui étaient absentes du premier : pourquoi Doc, qui peut aller n'importe où dans le temps et agir à sa guise, retourne-t-il chercher Marty en 1985 en courant le risque d'altérer significativement les événements alors qu'il n'aurait eu qu'à intervenir lui-même en 2015 et prévenir la catastrophe. Naturellement, nous n'aurions pas eu droit à trois films en cinq ans...
Le voyage dans le temps permet d'illustrer en fin de compte que chaque choix que nous faisons a nécessairement un impact sur notre avenir, mais pose aussi la question: sommes-nous véritablement maître de notre destin ou bien y a-t-il un chemin tracé d'avance? Comme quoi, pour écrire un bon film sur le voyage dans le temps, il est nécessaire de... prendre le temps d'y réfléchir!