On dit qu'il est difficile de faire des films au Québec, que c'est long et laborieux, mais lorsqu'en entend une histoire comme celle du film Lee Daniels' The Butler, on comprend que même aux États-Unis, amener une oeuvre indépendante (parce qu'on ne parle pas de la même saga lorsqu'un studio est associé) jusque dans les salles peut être une expérience périlleuse. Lee Daniels' The Butler a finalement pris l'affiche vendredi dernier (en version originale anglaise seulement au Québec), mais ce fut après que 41 producteurs différents (dont une décédée en cours de route) se soient greffés au long métrage et qu'ils aient dû se battre pour un titre.
L'aventure commence en 2011 alors que la productrice Laura Ziskin se procure les droits d'un article du Washington Post qui racontait l'histoire d'un majordome noir qui a travaillé à la Maison-Blanche sous les ordres de huit présidents différents et qui a eu droit à un point de vue bien particulier sur le mouvement des droits civiques aux États-Unis. Ziskin et sa partenaire d'affaires Pam Williams ont d'abord approché Sheila Johnson, une femme d'affaires afro-américaines, propriétaire de trois équipes de sport professionnel : les Capitals (NHL), les Wizards (NBA), et les Mystics (WNBA) de Washington. Lorsqu'elle a lu le scénario du long métrage de Danny Strong et a été, selon ce qu'elle a raconté dans un article du Hollywood Reporter (qui a inspiré en grande partie cet Hebdo), charmée et convaincue que ce film devait être fait. La productrice a spécifié dans cette même entrevue « qu'à Hollywood, personne ne veut s'impliquer afin de supporter les films afro-américains ».
Sheila Johnson a investi 2,7 millions $ de son propre argent avant de se lancer dans une campagne agressive afin de convaincre d'autres investisseurs. Elle est parvenue à persuader l'entrepreneur et philanthrope Earl W. Stafford et Harry I. Martin Jr., le président-directeur général de la société Intelligent Decisions, qui figurent tous deux au générique de la production en tant que producteurs exécutifs.
La production devait se rebattre sur des mécènes puisque les studios n'étaient pas du tout intéressés par le film. « Il n'entrait pas dans le modèle économique pour les ventes internationales. C'était un film d'époque qui traitait de la politique américaine. Un film afro-américain. Tout paraissait contre nous. Les studios s'intéressent aux franchises, aux films qui peuvent générer beaucoup de profit », a confié Pam Williams au Hollywood Reporter lors de la première new-yorkaise au début du mois d'août.
En juin 2011, Laura Ziskin est décédée des suites d'un cancer et le réalisateur Lee Daniels (Precious: Based on the Novel Push by Sapphire) a eu très peur que ceci marque la fin de The Butler. Lui et sa partenaire d'affaires Hilary Shor se sont tournés vers le producteur Cassian Elwes avec lequel il travaillait sur The Paperboy, qui a finalement accepté de les aider. L'homme figure d'ailleurs au générique en tant que producteur officiel. Le joueur de basketball Michael Finley et Buddy Patrick, héritier d'une riche famille de la Nouvelle-Orléans, se sont aussi joints au groupe.
Le projet a été présenté à Cannes en 2012 où il a été vendu pour la distribution à l'international. Le tournage du film a débuté en septembre 2012 avec Forest Whitaker, David Oyelowo, Oprah Winfrey, Terrence Howard, Cuba Gooding Jr. et Lenny Kravitz dans les rôles principaux. Quelques jours plus tard, Sheila Johnson a reçu un appel d'Harvey Weinstein, toujours à la recherche d'un long métrage qui pourrait être un bon candidat pour l'Oscar du meilleur film. The Weinstein Co. (TWC) a signé une entente pour la distribution américaine sans avoir vu une seule image du film. La compagnie s'est engagée à dépenser 30 millions $ en publicité.
Le budget du film était de 25 millions $, mais il a été augmenté en cours de route à 30 millions $. Au final, les investisseurs indépendants - certains sont anonymes - ont mis 16 millions $ dans la balance. Le reste a été couvert par 6 millions $ en remises fiscales, 6 millions $ en préventes étrangères et 2 millions $ de prêts.
Quand le film fut complété, les soucis n'étaient pas terminés. TWC n'a pas pu sécuriser le titre The Butler puisque les droits appartenaient à un court métrage de 1916 faisant partie de la bibliothèque de Warner Bros. Au final, l'entreprise a remporté le droit de nommer le long métrage Lee Daniels' The Butler, mais plusieurs restrictions étaient associées à ce « privilège ». Par exemple, le titre « The Butler » ne devait par être écrit plus gros que le « Lee Daniels' » qui le précédait, et comme la compagnie n'a pas respecté immédiatement les ordres de la MPAA's Title Registration Bureau - qui a rendu son verdict le 2 juillet dernier -, elle a dû payer des amendes supplémentaires considérables.
Finalement, Lee Daniels' The Butler a pris l'affiche hier dans 2 500 cinémas à travers l'Amérique du Nord. Reste à voir si l'histoire de ce majordome afro-américain saura susciter l'attention des cinéphiles... et de l'Académie.