Il y a une marge importante entre le mauvais film et le mauvais film qui s'assume. C'est même une précision suffisante pour faire passer une oeuvre de désastre irrévocable à divertissement acceptable. Certains parviennent même parfois, comme The Expendables 2, à construire un univers stéréotypé et débridé tellement bien endossé par les acteurs et leurs personnages que le film ne fait qu'en bénéficier pour devenir presque un incontournable.
The Expendables 2, deuxième opus de la franchise initiée par Sylvester Stallone, est raciste, misogyne, vulgaire, violent, obtus, et tout ça volontairement. Même les instants de supposée « tristesse », là où les protagonistes se rappellent une existence envenimée par la sauvagerie humaine et son absence de tempérance, sont brisés par des répliques telles que : « ils ont même tué mon chien ». Le sérieux est rapidement laissé de côté au profit d'une histoire gonflée de poncifs, de méchants Russes, de méchants Chinois, de plutonium, de mauvais jeux de mots (Husband and Knives, Rest in pieces) et de vieux acteurs appuyés sur leurs gros fusils et leur gloire d'antan.
Mais pourquoi cette surabondance de stéréotypes est-elle si rentable? Pourquoi le cliché à petite dose est-il désagréable, mais lorsqu'on en abuse, il devient jubilatoire? La réponse est probablement dans le fait que l'excès rend la chose beaucoup moins réelle. Si quelqu'un dénigre une ethnie, par exemple, ou s'il clame publiquement l'infériorité des femmes, il sera accusé de racisme ou de misogynie, mais si une ancienne vedette de film d'action gonflée aux stéroïdes sur sa moto « pimpée » avec la voix enrouée déclare qu'il envoie un cadeau au peuple chinois en parachutant l'un des leurs depuis son avion - sur lequel il est peint un Père Noël - ou qu'il refuse de travailler avec une femme, l'effet est considérablement estompé.
L'expression « Trop c'est comme pas assez » s'applique difficilement ici puisque « trop » est ce qui rend la chose si efficace. Évidemment, il y a dans The Expendables l'aspect nostalgie qui entre en ligne de compte. De voir Bruce Willis, Arnold Schwarzenegger, Sylvester Stallone dans la même image, sauvés la seconde d'après par Chuck Norris, c'est une conjoncture jouissive pour tous les amateurs de films d'action des années 80 et 90. Et le fait que ces super-héros d'une autre époque ronchonnent contre leur vieillesse et regrettent le siècle dernier où ils couraient aussi vite et avec autant d'agilité que Liam Hemsworth ne fait qu'accroître le sarcasme de la situation et fait sourire le public, conquis dès la première scène où on sauve un général chinois en faisant exploser un hélicoptère avec une motocyclette.
Robert Rodriguez a su également tirer avantage de la démesure. Machete est le paradigme parfait de cette conjoncture. Robert De Niro qui tue un enfant Mexicain à coup de fusil en déclarant « Bienvenue en Amérique », Jessica Alba qui élimine un méchant masqué en plus plantant un talon haut dans l'oeil et Danny Trejo qui utilise l'intestin grêle d'un criminel comme d'une corde pour se déplacer d'un étage à un autre d'un édifice et qui fricote avec Lindsay Lohan (qui se déguise plus tard en religieuse) nu dans une piscine, sont des situations beaucoup trop absurdes pour offenser les spectateurs. Le rire remplace rapidement l'indignation.
Il n'y a pas que dans le domaine de l'action que le principe de l'auto-dérision est profitable; Alexandre Aja l'a prouvé en 2010 grâce à Piranha. Un film d'horreur sur des poissons-mangeurs d'hommes qui s'intéressait bien plus aux formes voluptueuses de ses actrices et aux manières lubriques de les déchiqueter qu'aux fondements de son intrigue. Même si les critiques de cette oeuvre pointue furent mitigées, la plupart s'entendent pour dire que le ton de la satire est respecté du début à la fin et que la production n'offre pas plus, pas moins, que ce qu'elle propose d'emblée; du sang et des femmes.
Austin Powers et OSS 117 ont aussi su prôner l'excès en s'inspirant, de leur côté, de l'univers de James Bond et des agents secrets de l'époque du KGB. Austin Powers et Hubert Bonisseur de La Bath sont tous deux séduisants (ou ils croient qu'ils le sont) et séducteurs, n'acceptent guère que la femme occupe des postes importants et s'en prennent sans gêne aux stéréotypes raciaux ainsi qu'aux obèses, aux laids, aux religieux, aux homosexuels et à tout ce qui pourrait mousser la controverse. Pourtant, personne ne dit mot parce que leurs propos sont tellement grossiers et inopportuns qu'on saisit aussitôt l'ironie.
Il y a pourtant un revers, même à cette médaille-ci. « Trop c'est (peut-être) comme pas assez » mais parfois « Trop, c'est trop ». Le meilleur exemple de ce fait est probablement Piranha 3DD. Le deuxième chapitre de la franchise d'horreur a poussé la chose un peu trop loin et a perdu toute résonnance au sein de ce style qui prêche pour la démesure. Chaque film qui se risque à l'excès s'expose à l'impertinence et au crétinisme. Sylvester Stallone a dû réfléchir à l'impact de ses mots s'il tenait à ce que son film atteigne sa cible. Il est peut-être mûr pour le musée le vieux Rocky, mais il a encore des choses à apprendre aux jeunes cinéastes sur les films d'action.