Un peintre utilisera la peinture pour s'exprimer, un photographe, la photo, un comédien, l'art dramatique, un cinéaste, le cinéma et un auteur, l'écriture; c'est une évidence qui n'a pas besoin de justifications supplémentaires. Les créateurs ne peuvent pas toujours expliquer pourquoi ils ont préféré un médium à un autre... Pourtant, il arrive que l'adaptation d'une oeuvre semble plus à propos dans un autre médium que sur son support original; c'est le cas de The Host, un livre anodin de Stephenie Meyer qui a pris un sens nouveau et beaucoup de pertinence dans sa version cinématographique.
L'idée de The Host (Les âmes vagabondes en français) était assez attirante et prometteuse; une race supérieure d'extraterrestres envahit la planète et emprunte le corps des humains pour ramener la paix sur cette Terre qui a été tant de fois mutilée par l'égoïsme et l'impérialisme des hommes. Pourtant, l'histoire est beaucoup plus complexe qu'on aurait pu le croire d'emblée et cet enjeu qui met en scène deux personnages dans le même corps (une âme vieille de centaines d'années et une adolescente fougueuse), sont bien difficiles à rendre crédible au sein d'un dialogue manuscrit. Et lorsque l'extraterrestre s'éprend d'un humain au grand désarroi de l'humaine, prisonnière d'un corps qu'elle ne contrôle plus, c'est la pagaille et le lecteur s'en voit complètement désarmé et perplexe.
Le cinéma, art de l'image et du son, permet aux alter ego de s'exprimer de manière différente (une voix plus caverneuse pour l'humaine et une autre cristalline pour l'âme étrangère), et au public de les différencier plus clairement. Les altercations entre elles ont beaucoup plus de sens à l'écran (quoique parfois le personnage semble avoir des tendances schizophrènes légèrement perturbantes) qu'elles n'en avaient dans la version papier.
Évidemment, il y a là une question de la qualité du rendu, des choix du réalisateur et des directeurs artistiques, mais il n'en reste pas moins que certaines choses s'expriment mieux avec des images qu'avec des mots. Il y a également l'interprétation des adaptateurs qui entre en ligne de compte. Il y aurait eu bien des manières d'illustrer la double personnalité de l'héroïne de The Host, mais celle-ci, celle qu'a choisi le réalisateur, était probablement la plus évidente et la plus efficace.
Si on pousse plus loin et qu'on ose changer complètement de registre; Stanley Kubrick est un cinéaste qui est parvenu à transformer certains livres complexes et composites en chefs-d'oeuvres cinématographiques. A Clockwork Orange, un roman d'Anthony Burgess paru en 1962, qui brossait le portrait d'un personnage troublé qui avait son propre dialecte inspiré de plusieurs langues (certaines versions du livre proposaient même un lexique pour expliquer la langage des protagonistes). Kubrick a conservé le vocabulaire poétique de l'oeuvre originale mais l'a fortement simplifié, et y a attaché un univers visuel et musical qui enrichit les textes et accroît la puissance de l'histoire. Si, dans le livre, le héros voue bien un culte à Beethoven, il n'y a rien comme entendre la partition dans le film pour être imprégné de la force contenue dans cette musique.
La qualité du jeu des acteurs parvient parfois à donner tellement d'âme au personnage de roman que son origine littéraire devient anodine. C'est entre autres le cas de The Godfather, de Francis Ford Coppola, inspiré du roman éponyme de Mario Puzo, sorti dans les librairies en 1969. Marlon Brando, interprète de Vito Corleone, a remporté un Oscar pour sa performance dans le film de 1972 et a marqué à jamais l'imaginaire de bien des cinéphiles grâce à sa prestance et son charisme. Jack Nicholson a fait de même en 1975 grâce à One Flew Over the Cuckoo's Nest. Aussi récipiendaire de l'Oscar du meilleur acteur dans un premier rôle, Nicholson - alors âgé de 38 ans - a alors donné un visage à R.P. McMurphy qu'il n'était plus envisageable de remplacer. Les lecteurs, par la suite, ont sans doute, volontairement ou non, imaginé ces acteurs dans la peau de leurs personnages...
Les oeuvres littéraires dont s'inspirent les films ont généralement été publiées plusieurs années avant qu'un producteur s'en empare. Un phénomène assez récent à Hollywood entraîne les studios à se procurer les droits de série de livres ou d'un tome en particulier avant même sa publication dans les librairies. Certains de ces romans ne feront jamais l'objet de films; ils ne seront que des scénarios oubliés sur les tablettes, mais on peut tout de même se demander si cette pratique ne pourrait pas nuire à la vente du livre avant même que ce dernier ait pu devenir un bestseller. Peut-être est-ce le contraire; l'engouement du film encourage-t-il la vente du bouquin, qui maintenant porte en page couverture l'affiche du film?