Lorsqu'ils ont écrit, produit et réalisé The Matrix, Andy et Lana Wachowski (anciennement Larry) ne savaient probablement pas ce qui se produirait ensuite. S'ils avaient pu interroger l'Oracle, ils auraient sans doute été impressionnés, subjugués et finalement déçus de ce qu'il adviendrait pendant leur parcours. Le film culte, auquel on a greffé deux suites plus ou moins absurdes, a tout de même drainé 572 millions $ au box-office, sans compter la vente de produits dérivés dont les revenus sont simplement colossaux. Si les deux suites à The Matrix ont pris l'affiche quatre ans après l'original, il a ensuite fallu attendre cinq ans avant de voir Speed Racer, puis encore cinq ans avec Cloud Atlas, qui prend finalement l'affiche cette semaine.
Un peu comme George Lucas l'a vécu avant eux avec Star Wars, la suite pour les Wachowski s'avère moins brillante, comme si le citron avait été pressé complètement, trop vite, sans laisser une seule goutte. La preuve? Après la trilogie de The Matrix, presque tous les films auxquels ils ont collaboré, de près ou de loin (V for Vendetta, Speed Racer et depuis vendredi, Cloud Atlas) sont des adaptations. Si The Matrix était une synthèse de toutes leurs influences (mangas, séries japonaises, science-fiction de série B, etc.), les « frères Wachowski » ont préféré miser sur la créativité des autres, comme si leur confiance en eux s'était envolée.
Car comment se « relever » d'un tel succès? Comment se réinventer et renouveler son répertoire, comment retrouver un tel niveau? Ce n'est pas tout le monde qui compte dans ses amis un Steven Spielberg qui peut sans cesse renaître de ses cendres et assurer l'avenir de ceux qui l'entourent en leur faisant la grâce de ne pas les abandonner en chemin. Lucas a eu cette chance, il a pu compter sur son instinct d'homme d'affaires et monter un empire en s'éloignant de la création. Par peur de l'échec peut-être? Parce que l'acte de créer est de se mettre à nu et que de prendre un nouveau risque à cet égard pourrait équivaloir à un suicide artistique?
Son retour derrière la caméra en 1999 pour The Phantom Menace, suite à des demandes pressantes de ses admirateurs, s'est d'ailleurs soldé par un échec, prouvant du même coup qu'une telle peur était bien justifiée. Ironiquement, c'est en cette même année 1999 que les Wachowski conquéraient le monde avec The Matrix. Lucas, homme d'un autre temps, ne pouvait plus se mesurer à une jeunesse aussi inventive. Il aurait peut-être pu, à l'époque, leur donner de bons conseils sur la suite. Parce qu'il l'avait vécue.
Les Wachowski n'ont donc pas emprunté la même voie d'évitement que Lucas. Comme lui - et comme toute personne intelligente qui trouve un filon - ils ont exploité leur chef-d'oeuvre et en ont tiré tout ce qu'ils pouvaient. Livres, figurines, jeux vidéos et produits dérivés de toutes sortes. Non seulement visuellement révolutionnaire, The Matrix faisait vibrer une corde sensible et atteignait une profondeur philosophique en phase avec son époque. Le constat, très « camusien », de choisir de continuer à vivre, peu importe l'absurdité d'une vie sans Dieu ni paradis, de prendre en mains sa destinée, résonne également dans la carrière que les Wachowski ont connue depuis : continuer à faire des films, peu importe le résultat.
Parce que la gloire instantanée ternit tout le reste, il est facile de comprendre pourquoi chaque critique de leurs films suivants ait souligné une comparaison défavorable avec leur classique. Il est possible de croire qu'il n'y aura rien d'autre de transcendant. Après la sortie en catimini de la première bande-annonce de Cloud Atlas, d'une durée atypique de cinq minutes, beaucoup ont cru en une renaissance des Wachowski. L'envergure du projet, les effets visuels spectaculaires, la distribution cinq étoiles, la portée philosophique de l'histoire, tout disait « Enfin! »... mais finalement, ce n'était peut-être que nos souvenirs qui parlaient. Perdus dans leur Création, les architectes de The Matrix cherchent à retrouver le feu sacré, à retourner à la Source. Ils s'accrochent à ce qu'ils connaissent, mais leur message s'est dilué dans l'immensité de leur univers. Souhaitons pour nous qu'ils retrouvent bientôt leur chemin... ou qu'ils comprendront que tout a été dit et passeront à autre chose?