Le cinéma populaire reprenant la thématique de la peste réinvente généralement les leçons jadis véhiculées par la religion, en lutte constante contre la science : la soif de connaissance et l'absence d'humilité de l'homme devant la nature le pousseront à sa perte. Châtiment divin ou fatalité humaine? Les religieux puritains diront que l'humanité paie pour son impiété, mais les existentialistes affirment que l'homme est plutôt responsable de son destin. Or, dans l'absolu de la fiction, qui est responsable et pourquoi? Cela dépend toujours des films.
Dans Contagion, Soderbergh met en scène une maladie qui, une fois transmise par un étranger à une Américaine (Gwyneth Paltrow) en voyage, qui s'avère être également infidèle, se répand à travers le monde. Ici, l'idéologie est claire : l'infidélité de la femme entraîne une conséquence grave pour elle, alors que son mari, homme vertueux et père de famille consciencieux, est immunisé face au mal. La connotation religieuse du propos est encore plus visible à un certain moment du film, alors que les malades s'empilent et que les infirmières censées les soigner, craignant pour leur santé, refusent net de faire leur devoir et leur prodiguer des soins. Seules des religieuses se portent volontaires et leur abnégation est soulignée visuellement par un halo lumineux (une auréole?) qui les dépersonnalise. Qu'est-ce qui ressort du film, sinon une espèce de morale étrange qui donne aux humains un prétexte à l'individualisme, où tout contact avec l'autre peut entraîner la mort? La véritable maladie ici, c'est la peur.
Le brillant V For Vendetta dans lequel une Bretagne post-épidémique gouvernée par un tyran, dont le pouvoir repose sur la peur, montre que le refus par l'homme d'assumer ses choix et sa destinée entraîne des conséquences néfastes. Ainsi, une maladie, bien que mortelle et dangereuse, pave la voie au véritable cancer qui déshumanise l'homme; la peur. Ceux qui se bercent dans leurs illusions et se complaisent dans la torpeur, en abandonnant à d'autres les décisions importantes influençant leur vie, sont des sous-humains qu'il faut extirper de leur léthargie et chaque geste posé dans ce film a des conséquences. La scène fameuse avec les dominos est donc une transposition visuelle de l'idéologie du film.
Comme V For Vendetta l'expose, tout en ne tombant pas dans ce piège, il est facile de blâmer l'étranger pour la peste qui sévit chez soi. La fermeture des frontières et l'application de mesures draconiennes contre l'autre devient une nécessité pour la survie. Le film se transforme alors en pamphlet xénophobe où l'ennemi est l'étranger. Historiquement, il est vrai que la peste arrivait de destinations exotiques pour décimer des populations isolées, voyant débarquer la maladie par les voies commerciales. Cependant, de nos jours, avec la quantité de gens qui voyagent, avec le commerce international et les communications modernes, difficile de jouer cette carte efficacement...
Par contre, une autre avenue a été explorée plus récemment par bien des films et dans la littérature d'horreur. Qu'il soit développé comme une arme par des militaires, des gouvernements ou de puissantes compagnies pharmaceutiques, ce virus mortel, cette peste, entraîne irrémédiablement l'ensemble de la société dans un abîme et une population civile ignorante devient la victime du complot de quelques illuminés en quête de pouvoir. L'homme porte-t-il en lui-même le germe de sa propre destruction? Peut-on alors parler de châtiment divin? Selon Hollywood, il semblerait bien que les deux puissent se confondre. Pas étonnant donc que tant de films transforment, suite à une épidémie, les humains en bêtes sanguinaires amorales, meurtrières, vicieuses (Zombieland, 28 Days Later, I Am Legend) reprennent les malédictions formulées dans l'Apocalypse, en transformant le tout en lutte à finir entre le Bien et le Mal (The Stand).
Un film cependant se distingue de tous les autres par la complexité de son regard sur la peste. Dans l'éclaté 12 Monkeys, Terry Gilliam explore d'une manière très habile la notion de fatalité et de libre arbitre avec les conséquences qu'il entraîne. Le film chevauche sans arrêt la frontière entre le saint d'esprit et la folie. La fin ouverte, décriée par le public qui l'a trouvée frustrante, offre au contraire la possibilité au spectateur de décider s'il est optimiste ou pessimiste, de choisir entre la fatalité ou le libre arbitre et donc de tirer ses propres conclusions sur la fable qui lui a été proposée. Pas de connotations religieuses moralisatrices, pas non plus de point de vue strictement existentialiste. La science, les croyances, la confiance, la spiritualité, l'amour, la temporalité, le sacrifice, tout y est soumis à un examen méticuleux dans un contexte où la peste devient un personnage à part entière, un antagoniste qu'il faut stopper à tout prix, même au prix de vies humaines. C'est un combat contre un ennemi sans visage, qui n'amène ni gloire, ni récompense à celui qui le mène.
Dans un genre moins baroque, le film Blindness reprend les idées générales des films d'épidémies d'une manière originale. En effet, la maladie, non mortelle en-soi, cause pourtant la mort de milliers de personnes, simplement par la panique causée par la disparition soudaine de la vue. Ici, peu d'explications sur les causes de la cécité ou de la transmission de la maladie, mais une analogie intéressante avec le totalitarisme idéologique qui rend les populations « aveugles » à l'horreur et permet aux plus forts d'imposer leur loi. Car en elle-même, l'image de la peste renferme une symbolique idéologique tellement plus porteuse : être infecté par un virus mortel, contagieux, qui mène l'humanité à sa perte, rappelle facilement la manière avec laquelle certaines idées fascistes ont été popularisées au siècle dernier. Car comme le stipule le personnage de Leonardo DiCaprio dans Inception, quel est l'infection la plus résiliente, la plus contagieuse et la plus dévastatrice, sinon une idée?
Qu'ont en commun Contagion, V For Vendetta, 12 Monkeys, Blindness et Inception?
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