Loi et justice. Deux concepts, une confusion. La première doit être au service de la seconde et ne trouve sa justification que dans une manière d'appliquer des principes éthiques visant à améliorer la vie en communauté. Lorsqu'une société se dote de lois, d'un système judiciaire, c'est dans le but de permettre une coexistence pacifique, de donner des chances égales pour tous et d'empêcher les abus. Tout cela est bien beau en théorie. Mais dans les faits, le système est imparfait et favorise trop souvent les plus riches. Le prix des mots s'attarde aux problèmes juridiques rencontrés par un éditeur québécois lors de la parution d'une enquête faisant état des abus perpétrés en Afrique par les minières canadiennes.
Comme les tyrans dans une cour d'école primaire, ces dernières ont tout fait pour étouffer l'éditeur et discréditer l'auteur du dossier afin de minimiser l'impact de leurs thèses. Le documentaire de Julien Fréchette s'attarde aux limites de notre système de justice où les lobbys ont infiniment plus de poids que les citoyens, et où la peur de représailles guide dans bien des cas les choix faits par les médias, favorisant du même coup une information édulcorée, filtrée, prédigérée. Le film est un constat d'échec, mis en image. Parce que ces compagnies privées n'ont de compte à rendre à personne sinon à leurs actionnaires, que leurs profits astronomiques leur permettent de se sauver éternellement de la justice ou d'acheter ceux qui sont censés la faire régner, la liberté d'expression semble n'être plus qu'un mirage, qu'un écran de fumée destiné à préserver les apparences d'une démocratie en déroute. Qu'en est-il du système judiciaire? Il se trouve pris dans la tourmente et ses rouages encrassés ont peine à tourner. Et lorsqu'ils le font, dans quelle direction tournent-ils? La balance de la justice semble malheureusement ne plus pencher que d'un côté. Un tel contexte nous rappelle l'importance de produire des documentaires qui dénoncent.
Avec les moyens colossaux à leur disposition, les grosses corporations peuvent étirer les procédures jusqu'à casser les reins des résistants, miner leur crédibilité dans la durée, briser leur esprit et leur santé physique par des attaques médiatiques ou judiciaires répétées. Dans ce cas, peut-on reprocher à des citoyens d'utiliser les seuls moyens démocratiques à leur disposition pour se défendre, qu'il s'agisse de blogues, de podcasts, ou dans ce cas-ci, de documentaires? Il est aberrant de constater que l'on puisse même envisager qu'une compagnie aurifère générant des milliards de dollars de revenus soit même perçue comme étant une victime. C'est à pleurer.
Un tel système, non seulement protège les grosses compagnies, mais les favorise de manière éhontée. Il est évident que la vente à rabais des ressources naturelles africaines empêche le continent de s'affranchir du joug occidental et de se développer, mais qui va se plaindre? Consciemment, les puissances occidentales resserrent l'étau économique, beaucoup plus vital et concret que l'illusoire pouvoir politique qui, de toute manière, est à sa solde. Et il serait ridicule de croire que ce genre de situation ne se produit qu'en Afrique.
Le Québec est actuellement le théâtre du même genre de colonisation économique. Avec le cas des mines en Abitibi (L'or des autres, Trou Story), celui de l'exploitation de nos réserves d'eau ou de nos forêts (L'erreur boréale), sans oublier les gisements de pétrole de l'Ile d'Anticosti ou l'exploitation des gaz de schiste, le Québec semble désireux de laisser partir ses richesses contre de vagues promesses. Non contents d'accueillir des compagnies qui dérobent le bien commun pour l'enfouir dans leurs poches, nos élus signent en plus des chèques en blanc pour les attirer ici, criant au progrès, en fermant les yeux et en s'enfouissant la tête dans le sable. Pour le sacro-saint développement économique, il y a un prix à payer, et il est élevé. Qui sera gagnant? Qui sera perdant? Dieu merci, il existe encore ici des gens articulés qui s'insurgent contre ces pratiques, prêts à prendre position et à se tenir debout. Il serait peut-être temps de garantir à ces citoyens une certaine forme d'immunité qui leur permettrait de faire leur devoir sans avoir à se préoccuper des représailles.
Ah oui, c'est vrai... ça existe... Ça s'appelle la liberté d'expression... On peut remercier l'ONF de produire encore ce genre de documentaires pour nous tenir informés de ce qui se passe chez nous... Malheureusement, Le prix des mots ne sortait hier qu'à Montréal et à Québec, mais il est certain que vous pourrez le voir à la télévision d'ici quelques mois.
Le combat relaté dans Le prix des mots n'est pas encore complètement terminé. Sauf que depuis la publication du livre Noir Canada, le champ de bataille pour ce genre de problématique s'est déplacé. Il est probable qu'aujourd'hui, la parution d'un tel livre ne susciterait pas la levée de boucliers qu'elle a connue à l'époque. Parce qu'avec les réseaux sociaux, l'information se propage à vitesse grand V, l'internet est en quelque sorte devenu un régulateur social. C'est un outil de contestation civile extrêmement efficace (on a pu le constater le printemps dernier) et de puissants lobbys font pression sur les gouvernements du monde entier afin de museler le web. À titre d'exemple, citons la SOPA aux États-Unis, un projet de loi mammouth visant à permettre un contrôle serré du web (pour ne pas dire sa censure). Bien que ce projet de loi ait été tabletté en catastrophe suite à un mouvement de contestation sans précédent via Internet, son spectre plane toujours et il y a fort à parier que nous verrons réapparaître son équivalent, légèrement adouci, dans très peu de temps.
Au Québec, les dernières années nous ont prouvé que notre patrie est le théâtre d'une corruption et de problèmes juridiques où le citoyen est sans recours, démuni et trop souvent perdant face à une machine qui oublie l'humain qu'elle devrait pourtant défendre. On n'a qu'à penser à Claude Robinson qui a dû faire croisade seul et qui a vu ce combat, depuis 17 ans, prendre toute la place dans sa vie. Peut-être est-il temps de se demander où finit la loi et où commence la justice...