Depuis The Man Who Knew Too Much du maître Alfred Hitchcock, le drame d'espionnage est devenu l'un des genres les plus appréciés du paysage cinématographique dont l'exemple le plus connu demeure la franchise James Bond. Or, depuis l'adaptation des romans de Ludlum, Jason Bourne est lui aussi devenu une marque de commerce. Comme quoi, quand on parle de drame d'espionnage, le plus important, c'est encore l'espion! Malheureusement, n'est pas espion qui veut...
Et c'est bien le problème de nombreux drames d'espionnages; certains nous entraînent dans une aventure qui, sur papier, a tout pour plaire, mais qui, dans les faits, néglige l'essentiel. Sorti hier, The Bourne Legacy a l'avantage de pouvoir compter sur une mythologie bien ancrée et sur un succès qui, on s'en doute, a incité Universal à ranimer la série, histoire de pouvoir tabler un peu plus longtemps sur le nom désormais légendaire de l'agent « Threadstone », devenu amnésique. Le problème, c'est que le produit final, précipité, n'est pas à la hauteur de ses prédécesseurs : malgré une brochette d'acteurs chevronnés et un réalisateur adéquat, difficile de donner vie à un personnage sans âme...
Parce que The Bourne Legacy a omis d'inclure l'ingrédient primordial à tout drame d'espionnage qui se respecte, c'est-à-dire un personnage fort rempli d'une mission, le film tourne à vide. Si Jason Bourne cherchait au départ à retrouver son identité, c'est la vengeance qui devient le moteur des deux films subséquents. L'établissement du personnage central dans The Bourne Identity est fait avec soin, notamment par la lente évolution de sa relation avec Marie (Franka Potente): on a le temps de s'attacher à lui et à ses troubles et quand il est en situation de danger, son sang froid force l'admiration du spectateur. Plus qu'une machine à tuer, Jason Bourne est avant tout un héros blessé et la trilogie qui relate ses aventures est un tout solidement tissé.
Bien que, comme pour Bourne, le héros incarné par Jeremy Renner dans la suite doive tenter d'échapper à des poursuivants qui veulent sa mort, ce dernier ne sert aucun autre but que sa propre survie et on le suit à travers une quête, certes bien documentée scientifiquement, mais qui manque d'intérêt pour le spectateur. Or, pas de mission, pas d'espion!
Ça n'a jamais été le cas avec James Bond qui, à chaque film, se voit confier une mission par M, ou s'en attribue une lui-même. Faire partie du club sélect des agents double zéro, c'est servir la patrie, et que notre héros le fasse en costard, avec un martini, en séduisant les demoiselles en détresse ne fait qu'ajouter à l'intérêt du personnage qui est, avec le temps, devenu iconique. La preuve? Si le personnage avait été moins fort lorsque Sean Connery l'a incarné pour la première fois en 1962 (Dr. No), il y a peu de chances pour qu'en 2012, on en soit rendu au 23e épisode de ses aventures. C'est d'autant plus vrai que l'agent 007 a survécu à cinq changements de garde et demeure toujours aussi populaire après cinq décennies. Skyfall paraîtra d'ici la fin de l'année et Daniel Craig y endossera à nouveau le rôle principal.
Un personnage fort, c'est peut-être également ce qui a manqué au récent Haywire afin de cartonner davantage. Encore une fois, la réunion d'un réalisateur chevronné (ici Steven Soderbergh) et d'une impressionnante distribution (Ewan McGregor, Channing Tatum, Michael Fassbender) n'aura pas suffi pour faire lever de terre un film pourtant bourré d'action. Peut-être cela tient-il au fait que Gina Carano n'est pas une actrice et que même si son personnage n'était pas aussi unidimensionnel que sa performance, le don de frapper avec puissance sur ses ennemis ne transforme personne en espion crédible?
D'autant plus que les films d'espionnage sont à la mode ces temps-ci... La dernière année aura vu paraître un nouvel opus à la franchise Mission: Impossible, et il semble que les drames d'espionnage à saveur rétro soient aussi dans l'air du temps...
En plus de l'habile suspense The Debt qui nous ramène dans les années 60, les Britanniques ont aussi dépoussiéré l'un des classiques de la Guerre froide écrit par John Le Carré, le formidable Tinker Tailor Soldier Spy. Sans jamais compter sur aucun gadget technologique - le film se déroule dans les années 60 après tout - c'est sur la complexité des rapports entre les membres vétérans d'une équipe d'espions britanniques que repose toute l'histoire. Le long métrage entraîne le public dans une suite ininterrompue de moments empreints de suspense où les suspects - l'un d'eux est une taupe ayant causé bien des problèmes - changent sans arrêt. Propulsé du début à la fin par une insoutenable tension et des interprètes époustouflants (Gary Oldman, Colin Firth, Mark Strong, Benedict Cumberbatch, Tom Hardy), le long métrage de Tomas Alfredson rappelle que pour faire un bon suspense, rien de mieux qu'un bon scénario soutenu par des personnages intrigants.
Cette année, en plus de Skyfall, c'est la sortie, en octobre, du très attendu Argo de Ben Affleck. Comme le réalisateur nous a habitués à de la qualité, il va sans dire que les attentes sont élevées. Le film étant inspiré de faits réels, il est probable que les personnages seront particulièrement soignés. Situé dans les années 70, le long métrage devra donc s'appuyer sur un bon scénario plutôt que sur les gadgets si chers à d'autres franchises, et c'est peut-être mieux ainsi. Et au moins pour une fois, nous aurons droit à un scénario original, obligatoirement prévu pour en faire un film unique, non une franchise, et qui risque de sortir de la masse. Enfin.