La littérature pour adolescents a souvent fait l'objet d'adaptations cinématographiques. Les exemples les plus évidents sont les franchises Harry Potter et Twilight qui ont récolté respectivement 2 milliards $ et 790 millions $ en Amérique du Nord seulement. Lorsqu'on est conscient des montants astronomiques qu'amassent ces adaptations, on ne peut pas en vouloir aux producteurs de s'acharner à développer ce type d'oeuvres populaires. Même le Québec a tenté l'expérience récemment avec Le journal d'Aurélie Laflamme, un long métrage inspiré de l'oeuvre éponyme d'India Desjardins. La comédie, écrite, produite et réalisée pour un public adolescent, a connu un succès non négligeable dans les salles l'an dernier avec des recettes de 1 050 963 $, ce qui l'a positionnée au sixième rang des oeuvres cinématographiques québécoises les plus payantes de l'année 2010. Des statistiques respectables vu l'auditoire limité auquel le film s'adressait, le langage générationnel qu'il employait et les sujets ciblés qu'il exploitait.
L'industrie du livre a besoin de lecteurs, de gens passablement éduqués qui pourront parcourir un bouquin sans difficulté intellectuelle majeure. Mais il ne faut pas nécessairement être de grands cinéphiles pour apprécier ou comprendre le cinéma; c'est un art accessible, souvent même considéré comme un vulgaire divertissement. C'est pourquoi, règle générale, les films adaptés de livres connaissent un succès plus global que l'oeuvre littéraire elle-même.
Un film destiné aux adolescents n'est pas construit exactement de la même manière qu'une production qui s'adresse à un auditoire adulte. Il y a davantage de variables à prendre en compte et plus de modalités à considérer. L'adolescence est une période charnière dans la vie d'un être humain, il faut donc modérer certains sujets pour ne pas heurter la sensibilité des jeunes tout en restant conscient qu'on ne s'adresse guère à des enfants naïfs et crédules. Cette tâche de tempérance est ardue puisque les adolescents se comparent, se jugent et surtout s'identifient. On n'a qu'à regarder la frénésie qui règne dans une salle de première de l'un des Twilight pour comprendre toute l'importance de ce genre d'identification et l'adulation qui y est associée. Les jeunes filles sont hystériques, portent fièrement leur t-shirt à l'effigie de leur personnage préféré du film comme un symbole de leur amour et leur dévotion éternels. Ce n'est pas un hasard que ces oeuvres à succès sont souvent adaptées de livres puisque cette pondération entre l'efficacité du récit et la valeur des sujets exploités a déjà été faite par un autre et a prouvé son efficacité. Il ne reste plus qu'à rédiger un scénario qui respecte les visées, les idéaux et l'univers global du livre et le succès est quasi-assuré.
Bien que plusieurs exemples récents nous démontrent l'efficacité de ce type d'adaptation, ce n'est pas d'hier que le cinéma pour adolescents s'inspire de romans. The Outsiders, réalisé par le célèbre et prolifique Francis Ford Coppola, a connu un succès respectable lors de sa sortie dans les salles en 1983. Le film d'horreur I Know What You Did Last Summer, mettant en vedette Sarah Michelle Gellar, Ryan Phillippe et Freddie Prinze Jr., découle également d'une oeuvre littéraire tout comme Friday Night Lights, paru en 2004.
Le roman I Am Number Four, dont l'adaptation a pris l'affiche dans les salles vendredi dernier, s'est retrouvé, suite à sa sortie dans les librairies le 3 août 2010, pendant six semaines dans les positions de tête du classement des meilleurs vendeurs du New York Times dans la catégorie « enfants ». Mais le succès en salles de l'adaptation est loin d'être assuré malgré le nombre d'ingrédients prometteurs qu'il renferme; des jeunes « cool » avec des pouvoirs surnaturels, un beau garçon mystérieux et une histoire d'amour aux limites de l'idylle impossible. Il ne suffit pas de posséder ces précieux éléments, il faut savoir les utiliser. I Am Number Four, comme bien d'autres avant lui, est tombé dans un piège de perspective. Il est important lorsqu'on s'adresse aux (pré)adolescents de ne pas diminuer notre niveau de langage ou simplifié l'essor de certaines scènes - le spectateur est peut-être plus jeune mais il n'est pas plus bête. La comédie Easy A, sortie en salles cet automne, est parvenue quant à elle à éviter habilement cette dépréciation du discours en nous présentant d'emblé une protagoniste confiante et colorée, à qui l'on pouvait aisément s'identifier et se référer. Ce n'est malheureusement pas le cas de I Am Number Four, qui ne parvient guère à nous rattacher à ses fades personnages et à ses pâles objectifs.
Cette sortie dans les salles quatorze jours avant la semaine de relâche était par contre un geste calculé et intelligent. Si le film avait pris l'affiche durant la période estivale, il aurait dû affronter des immanquables comme Cars 2 et Captain America: The First Avenger. Un combat perdu d'avance pour une oeuvre si jeune - le livre est encore fraîchement sorti des presses (7 mois) et on exige de lui qu'il compétitionne avec des blockbusters, qui comptent parmi leur rang le documentaire musical sur la coqueluche des adolescentes, Justin Bieber (un compétiteur de taille).
Les adolescents consomment énormément de cinéma, ce n'est donc pas étonnant que l'on produise un grand nombre d'oeuvres qui leur sont spécifiquement adressées. Et comme les publics féminin et masculin ne recherchent pas exactement les mêmes propriétés dans une oeuvre cinématographique, on doit s'attendre à voir sur nos écrans autant d'obscénités à la American Pie que de productions fleur-bleue à l'image de She's All That. Mais ces longs métrages ne sont pas strictement réservés à un gratin de jouvenceaux, les adultes peuvent également profiter de ces promesses nostalgiques, il suffit simplement de mettre ses lunettes d'ingénuité pour oublier, le temps d'un film, que ces oeuvres (bonnes ou mauvaises) racontent toutes la même chose : assume ce que tu es et permet toi de rêver (tu n'es qu'à une coupe de cheveux d'être la reine du bal).