On ne pourrait pas faire l'énumération de tous ses films (environ quarante longs métrage en quarante ans). On ne pourrait pas non plus le confiner à un seul genre, à une seule muse (Diane Keaton, Mia Farrow, Scarlett Johansson), ni même à un seul métier (auteur, scénariste, humoriste, il est aussi clarinettiste de jazz). Mais que peut-on dire sur le réalisateur américain le plus prolifique de l'ère moderne? Peut-être tout simplement qu'il est le plus européen des cinéastes Américains.
Il a déjà été le cinéaste new-yorkais par excellence, y tournant pratiquement tous ses films jusqu'en 2005 (avec Melinda and Melinda). Suivront un exil de deux films londoniens (Match Point et Scoop), puis un à Barcelone (Vicky Cristina Barcelona), un court retour à New York (Whatever Works) et à Londres (You Will Meet a Tall Dark Stranger). Le voilà à Paris pour son film Midnight in Paris, qui a pris l'affiche hier au Québec. Et il paraît que son prochain film - en tournage cet été - se déroulera à Rome.
Dans les films de cet exil sur le Vieux-Continent, les personnages principaux sont souvent des touristes (Scarlett Johansson est à chaque fois une Américaine de passage ou en vacances) qui découvrent une nouvelle ville. En tant que réalisateur, Allen accepte son statut d'étranger et vient observer la ville avec la curiosité du voyageur intéressé; il ne s'intéresse pas aux monuments historiques comme le touriste (ses personnages non plus), mais cherche plutôt à saisir l'atmosphère des villes qui détonnent tant d'avec New York. Il n'est d'ailleurs pas anodin que parmi ses films européens, il soit si à l'aise dans l'ambiance éminemment catalane de Vicky Cristina Barcelona, dans la relation amoureuse tumultueuse si passionnelle entre les personnages, entre les cafés sur les terrasses de Barcelone et la légèreté, sans doute embellie par des années passées à Manhattan, de la vie européenne.
Les protagonistes de Midnight in Paris sont aussi de passage à Paris. L'amour que Woody Allen porte pour la Ville Lumière est palpable dans le film; c'est dans les rues sinueuses de la capitale française que son personnage de Gil, un scénariste qui voudrait être écrivain, rencontre ses idoles de la littérature. Où ailleurs qu'à Paris de toute façon? C'est dans ses petits cafés et bars que se sont côtoyés Ernest Hemingway, F. Scott Fitzgerald et Gertrude Stein ou les surréalistes, et c'est avec nostalgie que le réalisateur raconte une époque dont il n'a pu que rêver. Or, Gil est si fasciné par Paris qu'il abandonnerait le luxe de sa vie en Amérique pour un modeste petit appartement parisien; Gil, lui, préfère marcher sous la pluie dans les rues, alors que sa fiancée, en bonne Américaine, préfère le taxi.
Déjà en 2002, Allen posait un regard envieux envers Paris et la France, sous la forme d'un clin d'oeil humoristique. La finale d'Hollywood Ending - où il incarne un réalisateur devenu aveugle qui essaie de terminer son film sans laisser paraître son handicap - mettait déjà en évidence sa sensibilité européenne : le film dans le film (The City Never Sleeps) est un flop aux États-Unis mais un succès inattendu en France, ce qui fait dire au réalisateur Val Waxman (et alter ego du réalisateur) : « Thank God the French exist » à la toute fin du film.
Ce rapport avec le statut d'auteur que s'est mérité Allen au cours de sa carrière le rapporoche encore davantage de la vision européenne du cinéma. En France, le « metteur en scène » est le maître à bord, le signataire de l'oeuvre filmique. Or, Woody Allen a une signature forte qui fait de lui un réalisateur qu'on ne saurait confondre avec aucun autre. Et cet exil qui dure depuis 2006 est peut-être bien lié au fait qu'en Europe, Allen peut conserver le dernier mot sur ses films, du scénario au montage, sans devoir se soumettre aux désirs d'un bailleur de fonds.
Mais c'est peut-être dans son rapport au couple, à la sexualité et à la fidélité qu'on reconnaît un Woody Allen loin des balises religieuses et morales de son pays et plus près d'un cinéma et d'une sensibilité européens. Les infidélités et marivaudages de ses comédies romantiques détonnent par rapport aux propositions consensuelles du cinéma hollywoodien, constamment à la recherche du véritable amour et défenseur du mariage comme fondation de la société. Chez Woody Allen, il y a bien plus de divorces que de mariages et tous se terminent irremédiablement de la même façon, dans l'adultère...