Pour certains acteurs, se contenter d'incarner des personnages inventés par d'autres et de réciter des lignes de dialogues sous la direction d'un tiers peut s'avérer un moyen d'expression artistique insuffisant. C'est pourquoi certains d'entre eux décident de passer derrière la caméra, que ce soit pour porter à l'écran un projet très personnel ou alors pour se frotter au médium d'une manière différente. Et la transition s'avère souvent payante. On n'a qu'à penser aux Robert Redford (Ordinary People - un Oscar en 1981), Kevin Costner (Dances with Wolves - sept Oscars en 1991) et Tim Robbins (Dead Man Walking - un Oscar en 1996) qui ont tous réussi à s'assurer une place à la remise de prix la plus prestigieuse du monde. Même l'an dernier, l'Oscar du meilleur film est allé à Argo, réalisé par Ben Affleck. Cette fois-ci, c'est au tour de Joseph Gordon-Levitt de saisir l'opportunité et avec Don Jon, son premier long métrage qui sortait ce vendredi, il offre au public un film achevé et très prometteur.
Parmi les films issus d'acteurs-réalisateurs, on retrouve un nombre impressionnant de récompenses officielles, mais le roi incontesté des acteurs devenus réalisateurs demeure Clint Eastwood. Récipiendaire en 1988 du fameux prix Cecil B. DeMille, remis par les Golden Globes pour l'ensemble de sa carrière, et en 1995 du prix Irving G. Thalberg, remis de manière irrégulière à certains producteurs exceptionnels par l'Academy of Motion Picture Arts and Sciences, Eastwood, alors âgé de 65 ans, ne se doutait probablement pas qu'il allait connaître encore plusieurs années fastes par la suite. Avec 35 films complétés depuis ses débuts derrière la caméra, l'acteur-réalisateur de 83 ans a été en nomination un nombre impressionnant de fois pour de nombreux prix internationaux et a remporté quatre Oscars au total, deux pour Unforgiven (1992) et deux pour Million Dollar Baby (2004), en plus d'être en nomination en tant que meilleur réalisateur pour Mystic River (2003) et Letters from Iwo Jima (2006). Si ses derniers essais ont connu un peu moins de succès, tant critique que populaire, il n'en demeure pas moins qu'Eastwood livre toujours des films de qualité et sait choisir les histoires qu'il décide de porter à l'écran.
C'est également le cas pour Ben Affleck qui, après que sa carrière d'acteur ait commencé à battre de l'aile à cause d'un échec commercial (Daredevil), d'une vie personnelle tumultueuse (on se rappelle l'épisode Jennifer Lopez) et de comédies romantiques à l'eau de rose qui ont alimenté les ragots (Gigli, Jersey Girl), Affleck a décidé de reprendre sa carrière en main en retournant à ce qui lui avait permis d'obtenir son premier Oscar, c'est-à-dire à l'écriture. Il choisit d'adapter Gone Baby Gone de Dennis Lehane, l'auteur de Mystic River, pour son premier long métrage en tant que réalisateur. Le film met en scène son frère cadet Casey dans le rôle d'un détective privé chargé, avec sa petite amie, d'enquêter sur la disparition d'une fillette. Le drame, extrêmement humain et réalisé avec subtilité, permettra à Affleck d'asseoir sa crédibilité en tant que réalisateur et redonnera du lustre à sa carrière. Son essai suivant, The Town, est également réussi, et permet à son acteur principal (Jeremy Renner) d'obtenir une nomination aux Oscars. Finalement, l'acteur réalisateur a connu la consécration l'an dernier avec Argo et son prochain film, actuellement en préproduction, sera l'adaptation du roman Live By Night, un autre livre de Dennis Lehane.
Si Ben Affleck a connu une véritable renaissance grâce à sa réalisation et a réussi à stabiliser sa vie privée, c'est plutôt l'inverse qui s'est produit après que Mel Gibson soit passé derrière la caméra. Il a remporté l'Oscar en 1996 pour Braveheart, le deuxième long métrage qu'il a réalisé. Ses pièces suivantes, The Passion of the Christ et Apocalypto, des films obtus et durs avec une démarche particulière (les deux films ont été tournés respectivement en araméen et en maya yucatèque, les langues d'origine de la diégèse), ont connu une réception critique mitigée et une réception populaire plutôt tiède. Ses crises de colère, sur et en dehors des plateaux de tournage, et ses déboires sentimentaux, tous largement publicisés, on eu tôt fait de détruire la crédibilité de Gibson aux yeux d'une industrie qui pardonne difficilement ce genre d'écarts. Par contre, sa démarche créative en tant que réalisateur, demeure l'une des plus originales à avoir vu le jour à Hollywood.
Il ne faudrait pas non plus négliger les apports de George Clooney en tant que réalisateur. Si l'éternel célibataire doit une célébrité tardive à son rôle du médecin bad boy dans la série ER, ses accomplissements en tant que réalisateur ont définitivement contribué à établir Clooney comme un artiste sérieux et dont les films, souvent à teneur humaniste, ont fait l'unanimité critique. Nominé aux Academy Awards en 2006 pour son travail pour Good Night and Good Luck, basé sur le combat réel du journaliste Edward R. Murrow pour abattre le sénateur Joseph McCarthy, responsable de la chasse aux sorcières contre le communisme dans les années 50, Clooney profite de la lutte au terrorisme post 9/11 et de la peur ambiante aux États-Unis pour critiquer la politique de son pays. Ce film demeure l'un des meilleurs à avoir été produits sur cette période sombre dans l'histoire politique américaine. L'implication politique de Clooney le pousse également à adapter l'excellent The Ides of March et il se retrouve à nouveau en nomination aux Oscars pour son scénario en 2011. Sa dernière réalisation, The Monuments Men, est très attendue et prendra l'affiche d'ici la fin de l'année.
Si l'on prend pour acquis que les acteurs connaissent bien leur métier et que l'essentiel du métier de réalisateur, dans un contexte hollywoodien, est de diriger les acteurs, il n'est pas très surprenant qu'il y ait autant d'artistes qui fassent le saut. Beaucoup d'entre eux connaissent un succès critique et obtiennent des récompenses officielles pour leurs efforts. Cependant, le succès populaire est aussi un facteur et des acteurs réalisateurs comme Jodie Foster, Ben Stiller, Jon Favreau et Sylvester Stallone ont également réussi derrière la caméra. La sortie de Don Jon démontre qu'un acteur de talent, muni d'une vision et de la volonté de raconter une histoire, peut réussir là où beaucoup d'appelés échouent. Reste à savoir si Don Jon sera assez fort pour se faufiler dans les finalistes aux Oscars cette année et valoir à Gordon-Levitt une place parmi les grands de la profession. Chose certaine, si le box-office du film est bon, Joseph Gordon-Levitt aura sans doute d'autres occasions afin de parfaire son art.