En 2008, on avait largement critiqué la cote sévère de 16 ans et + accordée au film Tout est parfait. Certains disaient qu'il était nécessaire d'aborder un sujet aussi tabou que le suicide au grand écran et que cette limitation imposée par la Régie du cinéma empêchait les jeunes d'être confrontés à cette réalité difficile. Dernièrement, de nouveaux débats concernant le classement ont été enclenchés lorsque la bande-annonce du film La run fut classée 13 ans et +, empêchant cette dernière d'être diffusée dans la plupart des salles au Québec. Le film, qui est aussi classé 13 ans et +, prend l'affiche cette semaine. Qui est en charge de juger si le matériel présenté à l'écran est accessible et acceptable pour un jeune public? Qui est responsable de ces étiquettes qui empêchent ou non les enfants de voir certains films?
Au Québec, l'organisme chargé d'évaluer les effets probants d'un film sur les spectateurs selon leur âge est la Régie du cinéma. Depuis le milieu des années 60, la censure n'est plus d'usage au Québec, l'institution gouvernementale appose plutôt un classement à chacune des oeuvres cinématographiques sans les couper ou les épurer. Ces recommandations visent à renseigner le spectateur sur la teneur du film et l'impact que ce dernier peut avoir sur les jeunes spectateurs, dans le but de l'aider dans ses choix. Les oeuvres sont jugées selon les tendances générales et les valeurs de la société. En ce sens, le Régie s'efforce de suivre l'évolution du consensus social, de l'opinion publique, et de les considérer dans sa prise de décision.
Les examinateurs analysent, dans le but d'être le plus objectif possible, le sujet du film et son traitement. La violence, la sexualité, les questions ou sujets controversés, les atteintes faites aux individus et les phénomènes de psychopathologie sont les thématiques que la Régie prend en considération avant d'apposer un classement. En ce qui concerne la mise en scène, les réviseurs prennent en compte principalement les images pouvant heurter un jeune public, l'impact du montage ainsi que des effets spéciaux et sonores, l'insistance de certains détails pénibles, le niveau de langage et le ton général du film.
Après avoir été évaluée, une étiquette est attribuée à chacun des films (exemple :13 ans et +). Tous les logos, indiquant l'âge recommandé, peuvent être accompagnés par une notice particulière comme : Érotisme, Langage vulgaire, Violence, Déconseillé aux jeunes enfants, etc. Ces indications complémentaires nous informent sur la caractéristique dominante du film. Elles sont annexées au classement lorsque la précision de l'âge recommandé n'est pas suffisante. À titre d'exemple, le long métrage Fight club de David Fincher est étiqueté 18 ans et + (un classement réservé, règle générale, à l'exploitation de rapports sexuels explicites) mais on lui appose la notice Violence pour préciser que la raison de ses sévères limitations est due au regard sombre et désespéré que le film porte sur la vie contemporaine et non en raison de séquences obscènes.
Les bandes-annonces subissent le même processus d'évaluation que les films. Le long métrage québécois La run des frères Fuica, a souffert de cette contrainte qui oblige les productions commerciales (seuls les films éducatifs ou sportifs sont exemptés de classement) à être jugées préalablement par la Régie du cinéma, selon le distributeur Louis Dussault, président de K-Films Amérique. L'organisme gouvernemental soutenait que la bande-annonce ne pouvait être vue par un public âgé de 12 ans et moins. Cette étiquette l'empêchait donc d'être diffusée en salle devant les films classés Général, ce qui représente, selon Louis Dussault, « un pourcentage important des oeuvres qui sortent en salles. Dans un gros complexe, quinze films sur seize environ possèdent le sceau Général au Québec, c'est donc extrêmement limitant d'apposer un 13 ans et + à une bande-annonce. »
« Même si la bande-annonce était disponible sur le site officiel, sur Youtube, devant quelques films qui ont paru en DVD récemment et sur différents sites de cinéma sur le web, elle n'a pas eu la chance d'être diffusée dans autant de salles au Québec qu'elle aurait dû à cause de son classement trop sévère et ça a irrémédiablement influencé sa visibilité. » M. Dussault a bien tenté de convaincre la Régie de changer son verdict, mais l'institution n'est pas revenue sur sa décision. « Nous avons payé le 500$ nécessaire à la révision, ils ont revu le film en entier, nous les avons rencontrés par la suite, mais les examinateurs ont finalement maintenu leur jugement primaire. La Régie a un encadrement intellectuel très rigide qu'il est difficile d'outrepasser, elle est incapable de nuances et c'est une chose que je déplore fortement. »
L'organisme gouvernemental stipule dans la troisième version de son rapport d'évaluation du film La run que les motifs qui ont poussé à l'attribution du classement 13 ans et + / Violence et Langage vulgaire sont : « la représentation réaliste d'une violence percutante de l'univers sombre des trafiquants de drogues et celui de leurs clients ainsi que la présence d'un langage vulgaire, d'une séquence montrant une tentative de suicide et plusieurs scènes de consommation de drogue ». M. Dussault espère tout de même que cette anicroche n'aura pas de répercussion majeure sur la performance du long métrage dans les salles, même si, règle générale, la présentation de la bande-annonce dans les cinémas représente une publicité fort rentable.