Les vampires sont présents dans l'histoire du cinéma depuis ses débuts. Le long métrage Nosferatu, eine Symphonie des Grauens du réalisateur F.W. Murnau, sorti en 1922, est aujourd'hui, en plus d'être l'une des plus grandes oeuvres de l'impressionnisme allemand, considéré comme l'un des premiers « films d'horreur » et la première adaptation filmée du roman Dracula de Bram Stoker, bien qu'elle fut non autorisée à l'époque. Le vampire était donc d'abord un monstre, un être sans âme et sans coeur, qui sortait la nuit pour s'abreuver du sang des humains. Nosferatu, ou Dracula dans sa forme première, bien que légèrement charismatique, n'était guère désirable ou magnanime, c'était un personnage difforme et répugnant qui effrayait la galerie. Comment sommes-nous passés de la bête sanguinaire à l'individu mystérieux et irrésistible que l'on nous présente dans Twilight ou dans Fright Night, qui prend l'affiche cette semaine?
Dracula est définitivement le vampire le plus exploité au grand écran avec plus de 200 films à son actif. Le plus mémorable, le plus célèbre, sur l'histoire de cet aristocrate au teint blafard est celui de Terence Fisher, paru en 1958. Christopher Lee incarnait le protagoniste et, encore aujourd'hui, on associe l'acteur à ce personnage mythique. Bela Lugosi, qui était la vedette du film Dracula de 1931, est aussi un comédien qu'on rattache souvent au prince des ténèbres. Frank Langella a, lui aussi, personnifié le comte en 1979 dans le long métrage de John Badham, tout comme Gary Oldman dans la version de Francis Ford Coppola. Ce dernier film a d'ailleurs remporté trois Oscars en 1993 pour les meilleurs costumes, les meilleurs effets spéciaux et le meilleur maquillage.
Même si le vampire est un monstre féroce, il possède tout de même les attributs idéaux pour séduire et émoustiller la gent féminine, et évidemment, le cinéma a su exploiter ses particularités avec grand soin. Sa jeunesse éternelle, ses dents affûtées qui s'enfonce (sensuellement?) dans le cou de ses victimes, ses sorties nocturnes, son jeu de séduction et sa peau qui brille au soleil son regard perçant sont tant d'éléments qu'Hollywood a su utiliser pour attirer les femmes dans les salles. Avant d'en arriver à Twilight (qui est probablement le comble de la dénaturation du mythe du vampire), il y a eu Chris Sarandon dans la version originale de Fright Night, qui attirait ses victimes par la manipulation de l'esprit et qui était un symbole d'épicurisme, le non moins célèbre Interview with the Vampire, dans lequel Tom Cruise incarnait le pompeux vampire Lestat et Brad Pitt personnifiait le langoureux Louis, deux suceurs de sang excessivement séduisants (Pitt ET Cruise dans le même film il y a quinze ans ça ne pouvait qu'être délectable).
Pour satisfaire un public adolescent, toujours en recherche de fantasmes inaccessibles, les Américains nous sont arrivés il y a quelques années avec des héroïnes telles que Buffy, qui a été choisie pour éliminer les vampires mais qui s'éprend de l'un d'eux, et, évidemment, Bella qui tombe follement amoureuse d'un jeune de son école à la peau pâle et au regard mielleux dans Twilight, d'ailleurs cité comme référence dans le nouveau Fright Night. Le film a véritablement contaminé le cinéma jusqu'à ramener le personnage du vampire en avant-plan. Depuis la sortie du premier film en 2009, nous avons eu droit à une quantité incommensurable d'oeuvres vampiriques sur nos écrans; de Daybreakers à Cirque du Freak en passant par Let Me In et Priest (sans parler de la série télévisée True Blood, qui se résume en une sexualité et violence gratuite omniprésentes), le vampire a définitivement prouvé qu'il était un monstre riche de possibilités et d'habilités, mais qui peine à se renouveler sans se dénaturer. Nous comprenons tous l'impérialisme d'un tel personnage au cinéma, mais l'abus d'un sujet ou d'une chose n'est jamais un choix judicieux, on risque de nuire au mythe plutôt que de lui donner une nouvelle dimension, comme a voulu faire Stephenie Meyer.
Même si Colin Farrell (qui s'est confié récemment au magazine Voir) soutient que son personnage de Fright Night est « une brute qui utilise ses pouvoirs de séduction afin d'assouvir son appétit bestial » à la différence du Jerry de Chris Sarandon qui « était un intellectuel élégant et séducteur », l'aspect envoûtant du vampire, son pouvoir d'attraction et son charme naturel sont tant de caractéristiques qui font vendre des billets et encouragent la production de nouveaux films sur le sujet, malgré leur abondance. Si Edward rencontrait aujourd'hui Nosferatu, ce dernier n'en ferait probablement qu'un bouchée, avec avoir versé quelques larmes pour l'affront qu'il porte à sa race...