Parce que la littérature est si féconde et légère et le cinéma si lourd et si lent, il semble normal que des histoires préexistantes aient été mises en images par les cinéastes. Or, le fantastique semble être celui des genres littéraires qui pose le plus de problèmes à ceux qui s'y attaquent. C.S. Lewis a toute sa vie refusé de vendre les droits de Narnia par crainte que le cinéma dénaturerait son oeuvre. Tolkien, quant à lui, avait laissé partir les droits de son Lord of the Rings pour une poignée de change, affirmant à la ronde que, de toute manière, il serait impossible de l'adapter pour le cinéma. Or, vous en conviendrez avec moi, Peter Jackson a relevé le défi avec brio. Mais qu'en est-il des autres adaptations d'oeuvres littéraires fantastiques? Ces dernières sont souvent si denses, comportant en elles-mêmes une mythologie complexe et un enracinement culturel si profond, qu'elles rendent hasardeuse toute autre interprétation artistique.
Quatre des sagas fantastiques les plus populaires du vingtième siècle ont vu leur histoire mise en image au cours de la dernière décennie. En ordre chronologique de leur publication, il s'agit de The Chronicles of Narnia (C.S. Lewis, 1950), de The Lord of the Rings (J.R.R. Tolkien, 1954), de His Dark Materials (Philip Pullman, 1995 : il s'agit de la trilogie de laquelle a été tiré The Golden Compass) et de Harry Potter (J.K. Rowling, 1997). Or, ces quatres aventures ont beaucoup en commun : tous leurs auteurs sont Britanniques et ils ont tous enseigné, leurs histoires sont culturellement teintées de folklore anglo-saxon et, malgré l'action et la force des images mentales suscitées par leurs descriptions, c'est peut-être leur côté philosophique et l'universalité des valeurs qu'elles transmettent qui en ont garanti le succès. Mais en va-t-il de même pour les adaptations cinématographiques tirées de ces oeuvres?
Les premiers à aborder le monstre « tolkiénien » l'ont fait dans une adaptation animée de The Lord of the Rings (1978), qui reprenait presque mot à mot The Fellowship of the Ring. Le choix de l'animation semblait tout naturel : de prime abord, ce qui semblait impossible aux cinéastes, en adaptant le bouquin était de rendre justice aux paysages grandioses et aux créatures fabuleuses créées par l'auteur en utilisant un film « réaliste » (live action film). Malheureusement, les moyens ont manqué pour produire la suite. Or, vingt ans plus tard, Peter Jackson présentait à Miramax un projet d'adaptation en trois parties, très ambitieux, et qui a finalement abouti chez New Line, connaissant le succès que l'on sait. Le film fut acclamé non seulement par un bassin de fans, mais également par les critiques et l'industrie qui a remis, en tout et partout, 17 Oscars à la trilogie de Jackson. Or, puisque la technique a fortement évolué entre 1978 et 2000, il est désormais possible de rendre justice visuellement à ces oeuvres à l'imaginaire débridé, grâce aux technologies numériques et à moindre coûts qu'avant. Cependant, ce qui différencie Jackson des autres, c'est peut-être la sensibilité et la virtuosité avec laquelle il harnache le côté spectaculaire permis par ces innovations afin de le mettre au service du propos. Ce n'est malheureusement pas tous les réalisateurs qui réussissent ce tour de force.
En effet, l'avantage du livre par rapport au film, c'est que le lecteur n'est pas captif et peut à tout moment déposer son bouquin et y revenir plus tard. Cela laisse à l'auteur le temps nécessaire afin de développer les personnages et de leur attribuer des qualités et des défauts qui les rendent humains. À l'opposé, le film est confiné à une durée qui oscille entre 90 et 180 minutes pendant lesquelles il doit impérativement aller à l'essentiel. Cela pose d'énormes problèmes au niveau de l'écriture, et des choix parfois déchirants s'imposent pendant la scénarisation. Comment couper sans perdre l'essence de l'oeuvre originale?
Pour l'adaptation de The Chronicles of Narnia, certains ont argumenté que les valeurs « chrétiennes » véhiculées par C.S. Lewis dans sa saga n'ont pas été bien exploitées dans la version cinématographique. Aux États-Unis, cela a eu certaines répercussions, d'autant plus que les communautés chrétiennes, à la veille de la sortie en salles de The Lion, The Witch and the Wardrobe, avaient usé de propagande afin de mousser l'intérêt autour du livre et du film. Or, spoliés d'une grande part des nuances morales amenées par Lewis (surtout en ce qui concerne le deuxième film), les deux premiers opus n'ont pas connu le succès attendu. The Voyage of the Dawn Treader, troisième film d'une potentielle heptalogie et premier à être distribué par 20th Century Fox (après que Disney ait laissé tombé la franchise), ne suscite pas beaucoup d'attentes et il se pourrait bien que le quatrième opus, The Silver Chair - dont la sortie est prévue pour l'an prochain - ne voie jamais le jour.
C'est ce qui s'est passé avec le désastreux The Golden Compass, dont les résultats décevants au box-office ont forcé l'abandon de la série par New Line. On aurait pu penser qu'après le succès remporté par The Lord of the Rings, New Line saurait reconnaître une adaptation de qualité d'une adaptation bâclée. Pourtant, le livre de Pullman aurait pu faire l'objet d'un grand film si la réalisation avait été faite intelligemment et avec talent. Dans ses raccourcis scénaristiques et dramatiques, le film perd son spectateur dans une rocambolesque illustration d'un univers où rien n'est véritablement expliqué en images, faute de temps, et auquel le néophyte ne peut donc jamais véritablement se rattacher. Dans ce film d'une assourdissante vacuité, rien n'était non plus offert aux fans du livre qui connaissaient l'histoire. Problème majeur.
Ce n'est pas le cas des Harry Potter. Parce que les films ont suivi de si près la sortie des livres qu'ils se sont chevauchés, les films et les livres entretenaient à tour de rôle l'intérêt du public. De plus, comme il s'agit d'une adaptation à laquelle l'auteur a participé, cela en fait un cas particulier. Bien qu'inégale à cause de la diversité des réalisateurs impliqués, la série a tout de même conservé une partie de la vision initiale. Les films ont mûri avec leur public, tout comme les livres de J.K. Rowling ont évolué avec les années. Ici, l'auteure originale a eu son mot à dire dans l'adaptation de son oeuvre et il est clair que cela a grandement contribué à la qualité générale des films de la franchise.
En bout de ligne, au cinéma comme dans tout autre art, ce qui doit primer, c'est la vision. Après tout, l'objet filmique n'est pas que tributaire de l'histoire racontée, il l'est tout autant du talent de celui qui la raconte.