En cette époque de radicalisation des idéologies et d'effritement graduel de nos démocraties, l'idée d'un gouvernement totalitaire est terriblement d'actualité. Or, le combat d'un seul individu contre l'oppression est un thème cher à Hollywood et la sortie en grande pompe ce vendredi de l'adaptation cinématographique de la série de romans populaires The Hunger Games, écrite par Suzanne Collins, s'inscrit dans une longue lignée de titres de science-fiction abordant les mêmes thèmes. Le succès inattendu de la prévente des billets pour un premier chapitre d'une franchise en devenir - un record - vient confirmer l'hypothèse que le public était mûr pour une histoire inspirante où David affronterait à nouveau Goliath.
Pour avoir une histoire à laquelle le public s'identifie, il est essentiel au film de jeter les bases d'un gouvernement totalitaire crédible. C'est un État où l'individualité est réprimée au profit de la conformité, tant au niveau de l'apparence que des idées. Aucune voix discordante n'y est tolérée et l'émission d'un avis divergent peut être la cause d'une mort prématurée. C'est également un État hautement hiérarchisé, bureaucratique et militarisé où l'initiative est brimée et où une certaine forme de devoir envers le système prend le pas sur la morale individuelle. Un lieu où la surveillance et la délation sont monnaie courante et où la dépendance du peuple envers le divertissement joue un rôle prépondérant dans le maintien de l'ordre. C'est avant tout un endroit où le pouvoir est concentré dans les mains de quelques individus, appartenant à une élite qui cherche à tout prix à maintenir les masses sous son joug. À cet égard, The Hunger Games relève son pari haut la main.
Il faut dire que le concept n'est pas neuf. L'un des premiers films de science-fiction, un film visionnaire, s'y intéressait déjà en 1927. Le Metropolis de Fritz Lang voit le jour pendant la progression du nazisme en Allemagne et illustre magistralement les dangers de l'endoctrinement dans une mise en scène grandiose incluant des effets visuels qui vieillissent étonnamment bien. Or, le constat de Lang demeure optimiste, bien qu'il mette en scène un héros provenant de la classe privilégiée, laissant sous-entendre que les ouvriers n'auraient pas pu réaliser eux-mêmes une quelconque révolution. La morale du film est empreinte d'humanisme : « Aucune compréhension n'est possible entre la tête et les mains, sans que le coeur n'agisse à titre de médiateur. »
Le contexte de Metropolis, soit la montée des radicalismes en Europe au début du XXe siècle a débouché sur le pire conflit armé de l'histoire. La Seconde Guerre mondiale et la découverte des atrocités commises par la hiérarchie systématisée et impitoyable des nazis ont eu un impact durable sur les mentalités. En 1949, l'écrivain George Orwell accouche de 1984, une troublante dystopie qui a été adaptée pour le grand écran par Michael Radford et sortie en salles précisément en 1984. Dans ce film malsain et claustrophobique, Big Brother observe tout, contrôle tout. L'intimité n'existe pas et le moindre petit écart de conduite peut mener l'individu à sa perte. Un homme décide de se rebeller en tombant amoureux. Encore une fois ici, les sentiments sont le moteur du héros qui fait face à un ennemi dématérialisé. L'adaptation du classique d'Orwell provoque chez le spectateur un malaise quasi physique. La puissance idéologique du film est telle qu'aujourd'hui - est-ce un hasard? - le film s'avère anormalement difficile à trouver et les copies en sont particulièrement dispendieuses.
Plus récemment, Kurt Wimmer a conçu un ingénieux film s'inspirant de plusieurs classiques de la science-fiction (Metropolis, Farenheit 451, 1984). Equilibrium mettait en vedette un Christian Bale imperturbable évoluant dans un proche futur austère où les émotions sont prohibées. Ce héros, issu de la classe répressive, connaît une conversion progressive suite à un concours de circonstances qui l'amène à ressentir des émotions pour la première fois. Ici, l'ennemi est présent partout et pourtant, il est désincarné. L'endoctrinement des masses est assuré grâce à la répétition constante des bases idéologiques du régime par le Père, un chef d'État quasi messianique, construit de toutes pièces. Dans ce film au budget relativement modeste (environ 20 millions $ selon IMDb), l'importance est accordée aux détails. La répression brutale de toute forme d'originalité, au nom du bien commun, est illustrée par la sobriété de la direction artistique et par le jeu des comédiens. Grâce à un scénario astucieux, les générations à venir pourront probablement regarder le film sans le trouver daté et y trouveront des pistes de questionnement toujours aussi valides.
De même, V for Vendetta ne repose pas non plus sur une panoplie d'effets visuels abracadabrants, mais bien sur un scénario enlevant, mené de main de maître et interprété par de bons acteurs. La mise en scène y est truffée de symboles : les hauts contrastes faisant écho aux radicalismes, une sémiologie reprenant des items au nazisme, les nombreuses répétitions du V comme signe de résistance, les répétitions pentatoniques (5 s'écrit V en chiffres romains), et la mise en abîme avec l'histoire de Guy Fawkes qui, par son utilisation même, souligne le caractère répétitif de l'Histoire. C'est cette minutie et ce souci du détail qui rendent le film aussi riche, en faisant l'un des plus marquants des dernières décennies.
En ces temps troublés, un nouveau souffle semble avoir été inoculé au genre. Après le décevant In Time, avec Justin Timberlake dans le rôle d'un Robin des Bois des temps modernes, c'est maintenant The Hunger Games qui prenait l'affiche ce vendredi. Pour une fois, le rôle principal est assumé par une jeune femme. Au lieu d'une fronde, c'est armé d'un arc que David fera face à Goliath. Bien que le long métrage de Gary Ross risque d'être l'un des plus gros succès au box-office en 2012, il ne faut pas oublier que le film est avant tout tributaire de nombreux autres films, beaucoup plus révélateurs, inventifs et avant-gardistes qui l'ont précédé. Il est bon parfois de se remémorer d'où l'on vient pour mieux savoir où l'on va. L'avenir seul nous dira si l'adaptation de The Hunger Games transcendera l'oeuvre originale et résistera à l'épreuve du temps.