Avec la sortie du deuxième film inspiré de Blanche-Neige en moins de trois mois, il est tout à fait normal de se questionner sur les raisons qui poussent deux compagnies de production d'importance à travailler sur le même sujet. Même si Mirror, Mirror et Snow White and the Huntsman sont bien différents l'un de l'autre - le premier est un conte ludique familial alors que le second est plutôt un film d'action qui semble avoir misé beaucoup sur la qualité de ses effets spéciaux - il reste que ces deux oeuvres cinématographiques américaines sont inspirées du même conte de fées et mettent en scène toutes deux une princesse à la peau blanche, son affreuse belle-mère et sept nains aux caractères complémentaires. Des similitudes assez frappantes et non négligeables dans l'appréciation et la manière de percevoir une oeuvre.
Ce n'est pas la première fois dans l'histoire du cinéma que deux films s'inspirent ainsi du même sujet. L'an dernier, le public était étonné de voir sortir deux comédies romantiques sur les « amis modernes » (ou les « fuck friends »); une en janvier titrée No Strings Attached et mettant en vedette Natalie Portman et Ashton Kutcher, l'autre en juillet : Friends with Benefits avec Justin Timberlake et Mila Kunis. Dans le cas présent, les deux longs métrages ont remporté quasiment le même succès (l'un a cumulé plus d'argent en Amérique du Nord et un peu moins dans le monde et vice versa). Mais les nombreuses concordances entre les deux productions ont fait beaucoup jaser les spectateurs qui se questionnaient (comme à chaque fois que deux productions analogues font leur apparition sur nos écrans à des intervalles rapprochés) sur la pertinence d'exploiter le même sujet à deux reprises. Le sujet des deux films est même tellement rapproché que le premier utilisait un slogan qui rappelait le titre du deuxième : Friendship has its benefits. Est-ce à dire que l'un des projets essaie de miser sur l'autre pour sa campagne de promotion?
Évidemment, une idée est rarement (pour ne pas dire jamais) unique. Même si on croit qu'une thématique, ou un angle spécifique à cette dernière, n'a jamais été exploité par une tierce personne, il est possible que quelqu'un quelque part pense à la même chose au même moment : même l'originalité a ses limites. Pourtant, l'Homme étant ce qu'il est, il assumera presque instinctivement que le deuxième a copié le premier. Et pourtant, rien ne nous confirme que Sony (Friends with Benefits) n'est pas l'initiateur de l'idée qui a encouragé ensuite Paramount à produire une comédie sur des amis qui s'engagent sur une piste glissante en se permettant des relations sexuelles entre eux. Après tout, Sony avait une précieuse plage horaire estivale (22 juillet) et qu'il ait voulu la conserver même si cela signifiait qu'il serait dépassé par Paramount ne serait pas surprenant.
Un phénomène semblable s'est produit lorsqu'en 2006 Neil Burger a sorti son film de magiciens (The Illusionist) et que la version de Christopher Nolan (The Prestige) du même sujet est parue à peine un mois et demi plus tard. Qui a eu l'idée en premier? Personne ne le sait. On a peut-être cru que leur manière très différente d'approcher la magie, l'illusion (un drame et un suspense), aurait suffit à les différencier, mais ce ne fut pas le cas. Plusieurs cinéphiles se trompaient de salles. En voulant voir le film sur la rivalité de deux magiciens choississaient l'histoire d'amour au 19e siècle à Vienne. Ce qui occassionnait soit des frustrations, soit des découvertes, mais irrémédiablement de la confusion.
Il y a également des événements extérieurs, des influences communes, qui peuvent influencer un studio à développer un projet au même moment s'en s'être préalablement consulté. Le meilleur exemple est probablement la mort de Steve Jobs. Dès que le co-fondateur de la compagnie Apple et génie informatique est décédé en octobre dernier, les cerveaux ont commencé à bouillir à Hollywood; un film sur cet inventeur visionnaire ferait invariablement un drame biographique intéressant et populaire. Mais, il faut se hâter pendant que la poussière n'est pas encore complètement retombée et que le visage de Steve Jobs est encore frais dans la mémoire collective. Alors que le tournage du film titré Jobs, dans lequel Ashton Kutcher incarne le protagoniste, est sur le point de débuter, Sony Pictures engage le célèbre scénariste Aaron Sorkin (qui a fait un travail remarquable avec The Social Network) pour qu'il rédige lui aussi sa version de l'histoire de l'entrepreneur américain. Ce qui, invariablement (si les deux projets se concrétisent), fera que deux films sur le même sujet/personne prendront l'affiche l'an prochain. Et c'est sans parler des deux longs métrages sur Linda Lovelace, cette actrice porno qui a marqué l'industrie grâce à sa performance dans Deep Throat, qui sont prévus pour une sortie dans les prochains mois, l'un avec Amanda Seyfried, l'autre avec Malin Akerman.
Un producteur peut également décider de produire une oeuvre semblable à une autre pour profiter de la publicité et du succès d'un de ces concurrents. C'est peut-être d'ailleurs ce qui est arrivé avec le premier Madagascar et The Wild de Walt Disney Pictures. Puisque les deux oeuvres d'animation dépeignent le récit de voyage d'animaux d'un zoo de New York qui s'échappent de leur confortable cage pour affronter un autre type de vie sauvage, il est difficile de ne pas relier les deux productions, parues à environ un an d'intervalle. Puisqu'à Hollywood les projets sont, pour la plupart, connus de tous les compétiteurs, les dirigeants de Disney ont pu voir l'intérêt de Madagascar bien avant sa sortie et produire en parallèle un film semblable qui pourrait ensuite surfer sur la popularité de son compétiteur. Mais, les résultats plutôt décevants du film d'animation The Wild (37 millions $ en Amérique du Nord) nous portent à croire qu'une histoire trop semblable à une autre parue récemment ne plaît pas nécessairement aux spectateurs surtout si le premier a connu une certaine gloire et que le public s'est déjà attaché aux personnages.
Avec le temps, ces duplicités ne sont plus un problème. Les films paraissent en DVD/Blu-ray, on les écoute, on les recommande et on finit par oublier qu'au départ ils avaient de la compétition. On a déjà oublié que Gordy et Babe (deux films sur des cochons qui parlent) sont parus presque simultanément, et que Deep Impact et Armageddon (deux productions sur un météorite qui menace la Terre) ont pris l'affiche au cours du même été (1998). Probablement que dans quelques années, nous aurons complètement oublié que deux Blanche-Neige avait fait leur apparation sur nos écrans en moins de trois mois et on se questionnera encore : c'était quoi l'idée?