La roue de l'Histoire tourne, mais l'Humanité, elle, demeure la même. C'est probablement la raison pour laquelle des thématiques qui étaient universelles au XVIIe siècle le sont toujours aujourd'hui et la raison pour laquelle Shakespeare ne se démode pas. Malgré une langue qui a vieilli et des formulations qui sont presque exotiques aux oreilles modernes, les oeuvres adaptées de Shakespeare conservent leur puissance. Avec la sortie d'une - nouvelle - adaptation de Much Ado About Nothing par le réalisateur préféré de tous les geeks ce vendredi (Joss Whedon - The Avengers) le public pourra (re)visiter l'une des comédies les plus appréciées du grand maître.
La vie, la mort, l'amour, la trahison, la vengeance, l'honneur et l'innocence sont les thèmes les plus prisés par le dramaturge. Plusieurs de ses pièces majeures ont connu, au cours des décennies, de nombreuses adaptations cinématographiques plus ou moins réussies; plus ou moins théâtrales. Et bien que cela puisse paraître étrange, la plupart de ces adaptations collent directement au texte au lieu de n'en tirer que l'essence, comme c'est généralement le cas dans les adaptations cinématographiques d'oeuvres littéraires.
Mais pour susciter, chez le public, le désir d'aller voir Shakespeare en salle de cinéma, la moindre des choses est d'assurer au spectateur qu'il aura une plus-value visuelle et sonore par rapport à l'expérience qu'il pourrait avoir en se déplaçant au théâtre. Le cinéma étant un art sensoriel et les pièces de Shakespeare étant très bavardes, il peut être compliqué de mettre en scène de longues diatribes sans qu'il y ait de redites au niveau visuel à l'écran...
D'autant plus que le langage et l'expression théâtrale de la langue shakespearienne nécessitent également un jeu davantage magnifié de l'acteur, une gestuelle presque maniérée afin de rendre plus vivante l'action du personnage. Au théâtre, une telle prestation trouve sa justification dans l'éloignement du spectateur par rapport au sujet. À l'inverse, au cinéma, le gros plan est maître et l'exagération trouve difficilement sa place. Cela rend la chose d'autant plus difficile pour les réalisateurs qui doivent trouver, dans la direction des acteurs, l'équilibre entre la caricature et l'émotion.
Voilà pourquoi, bien souvent, lorsqu'une oeuvre de Shakespeare est adaptée, la distribution des rôles principaux échoit à des acteurs issus du milieu théâtral... et historiquement, surtout à des acteurs britanniques. Le roi de l'adaptation de Shakespeare, Kenneth Branagh, compte à lui seul pas moins de cinq adaptations à son actif en tant qu'acteur (Henry V, Much Ado About Nothing, Hamlet, Othello, Love's Labour's Lost) dont quatre qu'il a réalisées (tous, sauf Othello). Sa signature, très académique, convient bien à Shakespeare, et sa direction d'acteur impeccable permet au texte de ne pas avoir l'air trop plaqué. Par contre, on peut reprocher à Branagh son manque d'originalité : tous ses films se ressemblent un peu et auraient très bien pu faire l'objet de téléfilms au lieu de sorties en salles.
À titre d'exemple, la distribution impressionnante pour Much Ado About Nothing de Branagh (sorti en 1994) témoigne d'un désir de faire connaître Shakespeare au grand public. Le choix d'une oeuvre accessible et d'une distribution cinq étoiles ont permis à Branagh d'atteindre son but. En plus de lui-même, le film pouvait compter sur les prestations de Denzel Washington, Emma Thompson et Michael Keaton. Ajoutons à cela des étoiles montantes de l'époque comme Kate Beckinsale, Robert Sean Leonard et Keanu Reeves. Le public s'est bien déplacé (22,5 M$ en Amérique du Nord), ne serait-ce que par curiosité, malgré une réalisation tout ce qu'il y avait de plus ordinaire. Cinq ans plus tard, une autre comédie reprenait la recette de Branagh a également vu le jour : A Midsummer Night's Dream mettait en scène une splendide brochette d'acteurs dont Michelle Pfeiffer, Christian Bale, Dominic West, Kevin Kline, Stanley Tucci, Rupert Everett, David Strathairn et Sophie Marceau.
Quant à lui Joss Whedon a choisi de s'éloigner de la caste des stars pour son adaptation en engageant plusieurs acteurs moins typés et moins connus, et en risquant une esthétique cinématographique obsolète (en noir et blanc!) pour une adaptation moderne (!) d'une fantaisie élisabéthaine (!!)... L'intention derrière ce choix n'est malheureusement pas très claire, et parfois, à trop vouloir en faire, on rate son coup. N'empêche, la réalisation de Whedon est compétente et la « pièce », toujours aussi savoureuse.
Les tragédies les plus connues de Shakespeare, Hamlet, Macbeth, Jules César et Henry V, ont toutes eu leurs adaptations cinématographiques, mais l'adaptation contemporaine la plus populaire demeure le Romeo + Juliet de Baz Luhrmann qui, depuis ce succès inattendu, peine à retrouver le chemin de la gloire. Cette adaptation mettant en vedette Leonardo DiCaprio et Claire Danes, également ancrée dans une étrange modernité qui permet au public de mieux s'identifier aux textes et aux personnages, demeure à ce jour un film culte. L'effervescence narrative et la prodigalité visuelle propres à Lurhman ont trouvé un exutoire parfait dans la mise en scène de cette tragédie née d'une passion dévorante et sans espoir. Voilà un bon exemple de cette plus-value essentielle dont on parlait plus tôt.
Sauf que si l'on veut parler d'adaptation coup-de-poing d'une pièce de Shakespeare, il est impossible de passer sous silence la puissante fresque que nous a offerte un autre acteur l'an dernier. Coriolanus, réalisé et interprété par Ralph Fiennes, a réussi à imposer un style complètement moderne sur une épopée shakespearienne située dans la Rome antique... tour de maître s'il en est un, et pour sa première réalisation de surcroît! Le personnage principal que Fiennes interprète, plus grand que nature et dont l'intransigeance et la dureté martiale n'arrivent pas à trouver leur juste place dans un monde en paix, suscite encore aujourd'hui une profonde remise en question de la nature de la politique et de la démocratie. Le fait assumé de confier le rôle d'un insurgé étranger à Gerard Butler, un Écossais, ne fait que renforcer le sous-texte d'une oeuvre dont les textes originaux ne sont pourtant pas reconnus comme étant les meilleurs du dramaturge anglais.
L'esthétique de Coriolanus est d'autant plus forte qu'elle rappelle les reportages de nouvelles sur les guerillas urbaines récentes et l'omniprésence des médias de masse - tels un choeur grec aux allures modernes - et souligne la progressive polarisation des idéologies que l'on constate dans nos sociétés occidentales. Cette tragédie, plutôt méconnue du grand public, a trouvé dans la réalisation de Fiennes une nouvelle dimension et un nouveau souffle. La violence, devant sa caméra, revêt plusieurs visages. De défenseur de sa patrie, Coriolanus, lésé, en vient à devenir son bourreau et la vertu du personnage se transforme rapidement en un vice détestable. Sur quelles bases morales peut-on juger un tel homme?
En somme, les thématiques de William Shakespeare sont universelles et intemporelle. Au final, chaque adaptation, chaque regard posé sur son oeuvre, permettent au final de conclure que le dramaturge anglais, près de 400 ans après sa mort, est encore et toujours bien pertinent.