Le grand fabuliste Jean de La Fontaine utilisait souvent les animaux pour enseigner des leçons de vie aux enfants. Chaque animal, soigneusement sélectionné en fonction de ses qualités supposées, était ensuite mis au service d'un poème relatant une histoire qui contenait une morale. Attribuant à chaque protagoniste animal une personnalité aux défauts bien humains, les faisant interagir par la parole, les Fables de La Fontaine sont, en quelques sortes, les ancêtres de beaucoup de films animaliers pour enfants. Quoi de plus attachant qu'une boule de poil qui parle? Malheureusement, les idées véhiculées dans ces films n'ont plus grand chose à voir avec les histoires illustrées de l'écrivain...
Peut-être parce qu'ils sont désormais plus souvent soumis à la télévision poubelle qu'aux livres, les enfants d'aujourd'hui n'ont, semble-t-il, plus l'occasion d'apprendre, par les outils culturels, de quoi le monde est fait et quelles sont les valeurs morales de leur société (quoi que l'on peut se demander si la société du prêt-à-jeter n'en a pas profité pour jeter du même coup ses valeurs morales par la fenêtre, auquel cas, il n'y aurait effectivement rien à apprendre... mais c'est un autre débat). Les animaux parlants sont toujours à la mode cependant et vendredi, un nouveau film insipide est venu s'ajouter à la liste. Zookeeper, un film qui ignore le public auquel il s'adresse, utilise des lions parlants pour montrer à une génération d'enfants, comment séduire un partenaire du sexe opposé... Malaise.
Dans la même lignée, l'an dernier, Marmaduke nous racontait l'histoire d'un chien qui, fraîchement déménagé avec sa famille dans le superficiel comté d'Orange en Californie, a de la difficulté à trouver sa place. À la manière d'un film pour ado, le « p'tit nouveau » réussira à séduire la fille (chienne) et à devenir le roi du bal (parc). C'est à se demander comment les « créateurs » d'un tel film ont pu croire que l'utilisation d'animaux parlants aurait pu suffire à renouveler une histoire aussi usée... D'autant plus que le public interpellé par la prémisse, le groupe d'âge situé entre onze et seize ans, n'en a plus rien à faire des boules de poils parlantes. Cela peut également expliquer le cuisant échec subi par le film au box-office (à peine 84 millions $ à l'échelle planétaire).
Un autre exemple raté demeure celui du ô-combien-moche Beverly Hills Chihuahua que Disney avait « échappé ». Reprenant en grande partie le canevas d'un autre film du même genre (Homeward Bound), lui appliquant une couche de superficialité et de gags désolants avec des chiens miniatures auxquels on ne s'est malheureusement pas contenté d'ajouter une voix : comme c'est mignon un petit chien habillé avec une robe! On peut se demander quelles valeurs un enfant retire de son expérience cinématographique sinon justement qu'un chien avec des souliers, c'est trop cute. Et dire que certains ont trouvé là matière à une suite...
Un autre exemple, presque aussi désolant, demeure le film Cats and Dogs et sa suite aussi malhabile, Cats and Dogs: The Revenge of Kitty Galore, qui s'adressaient à un public jeune grâce à une histoire (très) simple. Malgré une cinématographie digne d'un mauvais téléfilm, au moins l'originalité relative de l'histoire (du premier) permettait de souligner l'importance de l'amitié, de la tolérance et de la collaboration. Ainsi, malgré leurs défauts narratifs et conceptuels illustrés par de maladroits moments d'émotion baignés par une musique à la guimauve et des ralentis censés nous faire pleurer, au moins avaient-ils la vertu de s'adresser clairement aux tout-petits. Le problème ici : une suite ininterrompue de saynètes supposément cocasses remplies de clichés et de blagues peu édifiantes.
Cependant, il est important de souligner qu'il existe une exception à toute règle et l'exception à celle-ci est le merveilleux Babe, un petit film australien qui a conquis le monde et dans lequel un porcelet rêve de devenir chien de berger. Dans cette fable (cette histoire mérite une telle appellation), beaucoup de leçons de vie sont apprises à la dure par un héros attachant qui cherche à trouver sa place dans le monde et à réaliser ses rêves. La ferme des Hoggett est une micro-société et le destin de Babe amène les spectateurs, petits et grands, à être touchés par ses mésaventures. La présence d'exutoires comiques (les souris chantantes et le canard hystérique) permet aux enfants de ne pas perdre l'intérêt. Sans compter que la cinématographie magnifique d'Andrew Lesnie (directeur photo pour The Lord of The Rings, The Last Airbender, I Am Legend), appuyée par le design de Roger Ford (The Chronicles of Narnia) sont tout simplement fabuleux. Quant aux animaux, la préférence accordée à l'utilisation traditionnelle du dressage ainsi que de marionnettes articulées, sans des centaines de plans retouchés par ordinateur pour assurer le mouvement des « bouches » et des mimiques, rend l'ensemble encore plus crédible.
Dommage que le succès du premier ait entraîné, comme c'est désormais la norme, une suite beaucoup moins inspirée (Babe: Pig in the City) dans le seul but de remplir les coffres. C'est bien la preuve que le gros méchant loup hollywoodien a de la difficulté à comprendre les besoins des enfants en matière de divertissement. La part de rêve et d'émotions pures dans les films destinés à un jeune public tend depuis plusieurs années à rétrécir pour faire place à des gadgets et des effets visuels qui, bien que souvent impressionnants depuis la montée en flèche du numérique, laissent bien peu de place à l'imagination. Même Disney, qui demeure à ce jour le plus grand producteur de films pour enfants, semble avoir perdu de son inspiration et remâche les mêmes vieilles histoires. Heureusement que l'arrivée d'un nouveau joueur dans les années 90 a permis de renouveler en partie les films adressés aux enfants. Car sans Pixar et sa sensibilité unique, on est en droit de se demander ce que les enfants (et les parents) seraient obligés de consommer d'indigeste. Finalement, ouvrir une édition illustrée des Fables de La Fontaine pourrait revenir un jour à la mode...