La réalisatrice d'origine ivoirienne Katell Quillévéré présente Suzanne, son deuxième long métrage après Un poison violent, dont elle signe aussi le scénario, quelques mois après sa sortie en France. Sara Forestier incarne l'héroïne, Suzanne, à l'âge adulte, tandis qu'Adèle Haenel incarne sa soeur et François Damiens leur père, Nicolas. Le film s'intéresse à leur destin sur près de 30 ans.
« Au début, j'ai été fascinée par des témoignages des femmes qui ont vécu avec des grands criminels, débute la jeune femme de 34 ans. Il y avait le fait qu'elles consacraient toujours un chapitre à leur enfance ou à leur adolescence, pour essayer de comprendre ce qui avait pu les faire basculer à ce point dans leur vie. C'est des filles qui ne se destinaient pas à devenir délinquantes. Évidemment, elles ne trouvaient pas de cause, la vie est toujours plus compliquée que ça. »
« Le personnage de Suzanne est inspiré de la personnalité de ces femmes, bien que dans le film il n'y ait aucune scène tirée d'un de ces livres, et aussi du désir de construire un récit qui démarre de leur témoignage, qui puisse accompagner une jeune fille pendant trente ans, pour travailler la notion de destin. J'ai toujours été fascinée par le mélange de hasard et de nécessicité qu'il y a dans le parcours de chacun. »
« J'aime beaucoup les biopics, de manière générale, c'est un genre cinématographique qui m'intéresse, et assez vite je me suis dit que j'étais en train d'écrire le biopic d'une inconnue. Je voulais aussi échapper à une forme de linéréalité et d'académisme qu'on retrouve souvent dans les biopics. L'enfance devient très facilement le lieu du trauma, de la cause. »
« Ce qui nous a guidés, c'est l'envie d'échapper, de casser un potentiel classicisme et d'apporter une modernité au film. Renouveler quelque chose dans l'écriture. L'ellipse est vraiment devenue une figure de style qu'on a essayé de construire et d'imposer. C'était passionnant, parfois ce qu'on va décider de ne pas montrer va être plus important que ce qu'on va raconter, et du coup on va investir le spectateur de manière très très très intense. Ça lui demande de faire appel à ses propres projections, ses déductions, son vécu, ses fantasmes, pour construire le film. Il y avait un vrai enjeu cinéma à cet endroit-là. »
« Je suis convaincue que le cinéma c'est l'art du non-dit par essence. On peut dire énormément de choses avec les visages et les corps en mouvement. »
« Pour moi, le cinéma, c'est un truc hyper-cathartique, je vais au cinéma depuis que je suis gamine pour avoir des émotions fortes, ça a à voir avec la fête foraine. J'y vais pour sortir de moi-même, pour me sentir vivante, ça doit être plus que la vie. C'est pour ça que j'adore le mélodrame, les émotions très puissantes, c'est quelque chose que j'ai vraiment envie de transmettre au spectateur. »
Les acteurs sont au centre de cet exercice. « Suzanne est un film hyper pudique, qui travaille énormément la retenue. Quand je vois des acteurs au cinéma donner trop - trop d'émotions, trop de larmes - la mienne s'annule. Tout le travail avec eux c'était de les mettre dans des états assez violents émotionnellement, mais de retenir, retenir. L'émotion, elle est là, mais elle ne sort pas. Peut-être parce que je suis très touchée dans la vie de voir quelqu'un retenir ses larmes, de vouloir rester digne. »
« Pour moi, une direction d'acteur réussie, c'est quand l'acteur a traversé son personnage et qu'il est arrivé à donner quelque chose de sa vérité profonde à lui. Je pense que quand on est spectateur c'est ce qu'on cherche, un état de vérité de la personne qui est en train de jouer. »
Distribué par Axia Films, Suzanne prend l'affiche ce vendredi.