André Forcier présente cette fin de semaine son nouveau long métrage, Je me souviens, qui raconte l'histoire de l'émergence d'un syndicat dans une mine de l'Abitibi au début des années 50. Le réalisateur s'est entouré d'acteurs qu'il connaît bien pour ce nouveau film, plus réaliste que ses précédents.
Discussion avec André Forcier, Rémy Girard, Céline Bonnier, Pierre-Luc Brillant et Roy Dupuis.
André Forcier
Vous avez réuni pour ce long métrage plusieurs acteurs avec qui vous avez déjà travaillé. « Je le fais quasiment de film en film, avec des nouveaux amis qui apparaissent à chaque fois. En réalité, presque tous les réalisateurs font ça. Mais c’est vrai qu’on a la crème des grands acteurs du Québec dans ce film-là. »
Le film est beaucoup moins excentrique que Les États-Unis d’Albert« On m’a reproché le côté « fabuleux » des États-Unis d’Albert, et j’ai voulu revenir à un cinéma plus ancré, qui prenait moins l’iris, moins la fantaisie. »
« Pour ce film-là, j’ai été blasté... Faut dire que le film n’a même pas eu de bande-annonce. Ce n’est pas un film que je renie, même si les producteurs en ont coupé neuf minutes, etc. C’était un beau film féérique, il faut avoir un peu d’imagination. Mais l’imagination elle est là aussi dans Je me souviens. »
C’est quand même un projet modeste. « Moi je n’ai pas touché une cenne sur le budget d’1,25 million en tant que réalisateur, scénariste, co-producteur, ma femme en tant que productrice, monteuse, elle n’a pas touché une cenne, les techniciens et les acteurs ont été payés. »
« J’ai pris des positions radicales contre le financement du cinéma d’ici. Tout est étatisé. Les producteurs et les distributeurs sont complètement financés, les producteurs ont même des primes à la continuité. Ils peuvent faire courir 19 projets, il y en a un qui arrive au finish. »
On sent aussi une forte fibre nationaliste dans le film. « En fait, je suis indépendantiste avant d’être nationaliste, je suis pour un Québec pluraliste, mais on sent ça parce que je voulais montrer des gens qui avaient la rage de vivre, qui étaient dirigés par l’ironie, le cynisme, l’amour, la violence, parce que c’est ça la vie. Un être humain ne réconcilie jamais le bien et le mal en lui, les deux sont séparés. C’est comme ça que moi je vois les personnages. »
« Dans le cinéma américain – et je ne veux pas parler contre le cinéma américain, j’adore le cinéma américain - il y a toujours la sacro-sainte morale qui fait que le personnage doit se transformer et devenir bon, alors qu’on peut s’amuser follement sans ça. »
« Ce film-là, c’est pas un downer; on rit, on réfléchit sur une époque, et on peut se poser des questions aussi sur notre Québec actuel. »
Rémy Girard
Ce n’est pas la première fois que vous travaillez avec Forcier. « Non, non, en 89 je crois, on avait fait un film qui s’appelait Kalamazoo. »
Est-il bien différent? « C’est le même gars, mais bien sûr il a vieilli, il est toujours aussi bourru des fois, mais son personnage s’est étendu par rapport à quand il était plus jeune. C’est le Marc-André qu’on connaît, une espèce de délinquant, anarchiste, avec beaucoup plus de bonhomie, beaucoup plus de calme qu’avant. »
Cela va très bien avec votre personnage... « Mon personnage représente toute une époque où la religion contrôlait tout, même les syndicats. Même si Monseigneur Mador n’a pas existé comme tel, il y a des évêques qui parlaient directement à Duplessis. »
« Moi, j’ai connu une partie de cette époque-là, donc j’ai connu toute mon enfance le monde religieux du Québec donc, pour moi, ce n’était pas quelque chose d’abstrait. Des personnages comme Mador j’en ai vus, cette espèce de préciosité, mais en même temps de pouvoir tranquille. C’est bien clair dans sa tête et il ne se pose pas de question. »
« Il est risible, mais ça c’est vraiment Marc-André. Il prend une icône, il lui donne un mal de pied, une diarrhée... »
Avez-vous eu du plaisir à le jouer? « Oui, à cause de son côté ridicule. Ça démontre bien ce que Marc-André voulait faire, d’ailleurs il m’a dit qu’il avait écrit le personnage en pensant à moi pour le jouer. »
Le fait que vous soyiez vous aussi une icône est aussi significatif. « Je ne sais pas... Non, je ne pense pas. Ça faisait un bout de temps alors quand il m’a appelé, j’étais content d’accepter, d’aller faire un petit bout dans son film. »
Céline Bonnier
« J’ai fait Le vent du Wyoming avec Forcier il y a quand même douze ans. »
A-t-il changé depuis? « Non, pas vraiment. C’est les budgets des films qui ont changé, je pense qu’il y en a de moins en moins. Il a toujours des scénarios intéressants, fleuris, ce n’est jamais banal ce qu’il propose. C’est toujours très très très référé, il y a de la rigueur, c’est rare qu’on lit des scénarios comme ça. »
C’est moins « fabuleux » que ses films précédents. « Effectivement, mais il y a plus de références historiques québécoises... Il y en a tout le temps de toute façon. Il est dans la poésie. C’est sûr que quand Forcier m’appelle, sans savoir c que ça va être, je sais que ça ne sera pas banal, que ce sera un personnage coloré. »
Est-ce que le tournage est amusant? « C’est drôle des fois, mais d’autres fois c’est moins drôle. Comme on n’a pas le budget adéquat, on tourne en moins de jours, pas assez longtemps, donc ça donne des plateaux stressés. »
Qu’est-ce qui vous plait dans cette écriture? « C’est proche de la théâtralité. Il y a quelque chose dans l’expression, la parole, comme une liberté proche de l’écriture théâtrale, avec plus de poésie, un autre genre de narration que le réalisme qu’on voit souvent au cinéma. Moi, c’est vraiment mon univers, ça stimule mon nerf créatif. Il y a de la liberté là-dedans, j’ai envie de faire partie de ça. »
Avez-vous conscience du public en tournant le film? « En le faisant, non. On le sait parce qu’on connaît les films de Forcier, mais pour moi, le bonheur se mesure à l’expérience que je suis en train de vivre là, l’unviers dans lequel je baigne et ce que je suis en train de partager avec l’artiste qui m’offre ça. Donc je m’en fous, sur le plateau. Mais après, je souhaiterais de tout mon cœur qu’il y ait plus de monde qui s’intéresse à ça. Il s’agit juste d’avoir une curiosité... »
Pierre-Luc Brillant
C’est ta première expérience avec Forcier, comment est-il? « Il peut sembler à pic, abrupt de prime abord, mais un coup que tu as compris ça... »
« C’est un hyper bon directeur d’acteur. » Qu’est-ce qui fait un bon directeur d’acteur? « C’est quelqu’un qui sait te faire comprendre tout en subtilité ce qu’il faut que tu fasses, sans faire des discours d’une heure. C’est par les petits détails que tu arrives, petit peu par petit peu, à construire quelque chose. »
Il y a un fort message souverainiste dans le film. « Ben oui! Ça a réveillé mon petit côté souverainiste... mon gros côté souverainiste. En plus, c’est une époque qui n’est pas traitée souvent, en tout cas politiquement. Comme le titre le dit, c’est un devoir de mémoire. On s’est fait exploiter par le clergé, par les blokes, par un paquet d’instances et on a réussi à s’en « libérer ». Je pense que c’est un devoir de s’en rappeler. »
Roy Dupuis
C’est un film plus réaliste dans la filmographie du réalisateur, est-ce pour vous une préparation différente? « Des personnages plus réalistes, ça fait longtemps que j’en joue, c’est pas une préparation différente. Ce qui est différent avec les films et les histoires de Marc-André, c’est que premièrement tu ne changes pas un mot. C’est déjà écrit, c’est poétique, même si c’est réaliste, les mots sont quand même choisis. Ça se rapproche un peu du théâtre, à ce niveau-là. Au théâtre, tu ne changes pas un mot quand tu veux. Au cinéma, quand on joue un personnage réaliste, on peut facilement modifier les phrases pour les faire siennes, pour les rendre plus justes. Mais avec Marc-André, tu ne touches pas à ça, parce qu’il a sa musicalité. »
« Deuxièmement, même si c’est un film réaliste, ça ne l’est jamais vraiment, et en général, quand je travaille un personnage, je vais avoir envie de scruter la réalité, d’aller puiser de l’information dans un secteur quelconque de la société, de la vie. Mais dans un film de Marc-André, j’ai juste envie d’être avec lui, de lui poser des questions, de lui faire parler de l’histoire. C’est un univers qui lui appartient. »