Figure emblématique du cinéma français, Vincent Lindon aime se mettre en danger, apparaissant dans des oeuvres sans concession comme Titane, Welcome et La moustache.
Le voilà de retour dans l'univers du cinéaste Stéphane Brizé par l'entremise d'Un autre monde, qui clôt une trilogie non officielle sur le monde du travail, amorcée par La loi du marché (où il a obtenu le prix d'interprétation à Cannes en 2015) et En guerre. Il incarne cette fois un manager qui a un problème de conscience après avoir reçu l'ordre de licencier des dizaines d'employés.
Dans le cadre des Rendez-vous du cinéma français d'Unifrance, nous avons discuté avec l'acteur de ce drame social implacable qui en remuera plus d'un.
Les trois personnages que vous défendez dans cette trilogie (un chômeur, un syndicaliste et un manager) sont dans la même situation. Ils doivent subir le rouleau compresseur de cette société prêtre à écraser l'humain pour le profit.
Exactement. Ils sont acculés. Ils sont confrontés à une civilisation et à un monde d'aujourd'hui où on demande aux gens précaires de plus en plus de temps et de travail. Ils doivent faire de mieux en mieux quelque chose avec le moins de temps possible, avec le moins de matériel possible et avec le moins d'argent possible. Et on demande aux patrons de faire ce travail aussi bien qu'avant en diminuant les effectifs année par année.
Ce qui est impensable.
Le principe du film, la chose qui est terrible, le dilemme du personnage est qu'il va être amené par culpabilité par rapport à ses dirigeants à se poser la question suivante : suis-je encore à la hauteur de répondre à la demande qu'on fait ou est-ce que la demande qu'on fait est totalement folle et inconcevable? Il y a un point de rupture. Il y a un moment où cet homme pense qu'il ne peut pas aller plus loin. Il est pris devant une énorme décision de vertu et de loyauté envers les salariés, envers son travail qu'il a toujours fait formidablement bien. C'est un très bon soldat. À un moment, il juge que les demandes qu'on lui fait sont inconsidérées.
C'est donc un film sur le courage?
Oui. C'est un homme qui va devoir décider et faire un choix. C'est quoi le courage? Est-ce que c'est partir et arrêter quelque chose qu'on ne peut plus tolérer? Ou est-ce que c'est quand même faire quelque chose qu'on ne tolère pas contre son gré?
Il s'agit de votre cinquième collaboration avec Stéphane Brizé (Quelques heures de printemps, Mademoiselle Chambon), un réalisateur qui ne dit pas quoi penser et qui ne prend pas les spectateurs par la main.
C'est ce qui est bien dans ses films. Il vous donne quelque chose de factuel et après on décide. Mais ce qui est fou, c'est que c'est mené comme un polar. Il y a un enjeu, du suspense. C'est tellement compréhensible et bien expliqué que tout le monde peut rentrer dedans comme dans une enquête. On comprend très bien les rouages de l'économie, de l'industrie.
Votre personnage se pose la question à savoir si sa vie personnelle mérite d'être sacrifiée pour son travail. Est-ce une question qu'on se pose quand on est acteur?
Bien sûr. Si le film se passe à l'étranger, où je dois être parti pendant deux mois, est-ce que ça vaut le coût? Vous imaginez bien qu'à 30 ans, entre aller faire un film formidable à l'étranger ou rester à Paris, je choisissais plutôt de partir. Parce qu'on est insouciant, parce qu'on est inconscient, parce qu'on est jeune, parce qu'on est immortel, parce que après moi le déluge. En vieillissant, on se raccroche. Maintenant, pour aller faire un film loin, il faut qu'il soit irrefusable.
Votre personnage dit à la fin du film "Ma liberté a sûrement un coût, mais elle n'a pas de prix". C'est votre devise?
Oui. C'est ma devise. C'est tellement ma devise que Stéphane me l'a prise pour la mettre dans le film. Je l'ai prise à mon père qui me disait ça quand j'avais 16 ans. Ça veut dire plein de choses, comme "Il faut prendre son temps pour faire son travail".
Vous l'appliquez dans votre métier?
Bien sûr. Je peux faire huit films par an, mais je vais forcément en faire des moins bien. Alors c'est de l'argent et des rôles qui vont me coûter cher. Donc il faut choisir. C'est difficile. Il y a des fois où j'ai des choix terribles à faire. Dire non est extrêmement compliqué, parce que je sais que derrière, il y a deux ou trois acteurs qui vont dire oui immédiatement et qui vont être fous de joie que j'aie dit non. Donc ça veut dire que la chose vaut le coût. Mais pour moi, dans mon for intérieur, quand je me couche le soir, si je me dis "Je n'ai pas envie de faire ce film", il faut que je dise non.
Et votre entourage...
Je ne raconte rien à personne. Ça ne m'intéresse pas. Parce que si je demande l'avis de tout le monde, on fait une moyenne et on prend la mauvaise décision. Il n'y a qu'un avis qui m'intéresse au monde, artistiquement, et c'est le mien. Parce que c'est moi qui vais le faire et pas les autres.