Avec Tu ne sauras jamais, Robin Aubert braque sa caméra sur une réalité dont nous avons abondamment entendu parler, dont nous nous sommes profondément indignés, mais sans nécessairement savoir de quoi il en retournait vraiment.
L'idée de s'immiscer dans le quotidien d'un homme âgé, isolé du reste du monde dans sa chambre d'un CHSLD durant la pandémie de COVID-19, est définitivement un projet que l'on mène avec une intention bien précise.
Écrit durant la pandémie par Aubert et sa conjointe et coscénariste Julie Roy, Tu ne sauras jamais est une expérience cinématographique qui marque l'esprit au fer rouge, qui concentre notre regard sur des faits qu'il est facile d'oublier, voire d'ignorer, et qui ne passe pas par quatre chemins pour faire entendre son discours.
Rencontrés en marge de la sortie du film dans les cinémas de la province, Aubert et Roy nous ont expliqué ce qui les a motivés à aller au bout de ce projet, en plus de dresser le constat d'une situation qui n'a finalement pas tant évolué, quelques années après les faits.
« En fait, c'était l'impuissance face à cette solitude-là. Ç'a été écrit en pleine pandémie, le soir, quand les enfants étaient couchés. L'art, c'est souvent un geste d'impuissance. C'est une manière de vouloir crier, d'activer quelque chose », explique le réalisateur.
« Quand on ressent quelque chose comme ça et qu'on ne sait pas quoi en faire... La seule chose qu'on a trouvée, c'est d'écrire sur le sujet. On a aussi voulu créer une histoire d'amour justement pour dépasser le sujet, pour ne pas s'arrêter à cette fatalité-là », ajoute Julie Roy.
« Il n'y avait pas de quoi pour revendiquer quoi que ce soit. Inévitablement, on va finir là. Donc, c'est aussi de prendre un personnage et de voir comment se passe sa journée. Est-ce qu'il mange seul? Attend-il longtemps? S'il va à la fenêtre, qu'est-ce qu'il voit? S'il ouvre la télé, qu'est-ce qui lui parle? » poursuit Robin Aubert.
Une scène du film Tu ne sauras jamais - Axia Films
Évidemment, le poids de la solitude se fait sentir durant la totalité du long métrage, et c'est à travers elle que l'histoire des amants séparés s'est imposée dans l'esprit des deux principaux intéressés comme une source de lumière dans une grande noirceur.
« Pendant la pandémie, les gens qui étaient confinés dans une chambre d'un CHSLD ne savaient pas ce qui se passait. On ne leur disait rien. Plusieurs sont morts de solitude, et non de la COVID-19. [...] Les amoureux qui vivaient dans la même bâtisse ne pouvaient pas se voir. Tu ne peux pas séparer des amoureux dans ma tête », souligne Robin Aubert.
« Je pense qu'on avait besoin de voir une personne âgée qui ne se résigne pas, qui décide autrement, qui reprend sa vie en main, qui réécrit l'histoire à sa façon, qui ne se laisse pas mener par ce qu'on lui dicte. C'est quand même sa vie, il a le droit de choisir. Là-dedans il y a une action, il y a un geste qu'il pose qui est positif », explique Julie Roy.
Le duo avait aussi une assez bonne idée de ce à quoi allait ressembler l'esthétique du film à l'étape de l'écriture, et ce, même si Tu ne sauras jamais marque davantage de par ses détails techniques et ses cadrages et mouvements de caméras tout aussi précis.
« J'ai pas mal suivi le scénario. Ce que tu vois, c'est ce qu'on a écrit. À peu de choses près. Évidemment, l'acteur a apporté beaucoup de son essence. Ça s'est écrit en discutant beaucoup, au détail près. Même le plan du début, il était écrit comme ça. Le premier plan commence sur le mur, et ça va être long, ça recule, et ça prend du temps avant qu'on le voit lui. [...] Tous les détails étaient écrits », se remémore Robin Aubert, ajoutant que le film a aussi été tourné en ordre chronologique.
Quant à Martin Nault, qui incarne le personnage principal du long métrage, ce dernier a été l'un des deux seuls candidats à avoir été rencontrés en personne par le réalisateur. S'il n'avait pas d'expérience de tournage au départ, ce dernier a tout de même trouvé rapidement ses repères sur le plateau.
« C'est une personne qui a un bagage. Il a eu mille vies, il a fait plein de choses. C'est un homme très intelligent. Il a compris rapidement le concept du personnage versus la réalité versus les besoins qui venaient à la réalisation. Ç'a vraiment été un petit miracle de tomber sur Martin », explique Julie Roy.
La question qui tue : qu'avons-nous réellement retenu de la pandémie? Avons-nous vraiment mis en place et appliqué toutes les bonnes résolutions et les changements que nous disions vouloir instaurer à la fin du confinement?
Bien sûr que non.
D'ailleurs, le film aurait très bien pu ne jamais faire mention de son contexte pandémique et garder toute sa force de frappe malgré tout.
« Ça me fascine de voir que ça n'a pas changé. On ne veut pas me parler du film, on ne veut pas parler de ça. C'est comme si ça ne s'était pas produit. Je trouve ça drôle, beau et ironique, quand même. C'est là que je me dis qu'on a touché de quoi », affirme Robin Aubert.
« La vocation d'artiste, c'est d'outrepasser ce déni-là, justement, de dénoncer, de parler des choses que les gens essaient de camoufler. Nous, on veut les faire ressortir, pour montrer que c'est encore là, pour vous le rappeler au cas où vous auriez oublié. Le film fait ça, parce qu'on le sent dans la réaction. On le sait que c'est polarisant », enchérit Julie Roy.
« Je pense qu'il y en a plusieurs qui le prennent personnel, par rapport à quelqu'un qu'ils connaissent, que ce soit un père, une mère, une tante, ou par rapport à eux-mêmes », ajoute le réalisateur.
« Je pensais que ça aurait changé, la pandémie, j'aurais pensé qu'on aurait changé [...] J'ai un côté plus naïf qui me fait mal des fois. »
Tu ne sauras jamais est présentement à l'affiche partout au Québec.