Après avoir séduit les cinéphiles avec Continental, un film sans fusil, En terrains connus et Tu dors de Nicole, le cinéaste Stéphane Lafleur est de retour avec Viking, un projet hors norme qui flirte avec la science-fiction. Lorsque des astronautes s'envolent vers Mars, l'équipe de réserve demeure sur Terre, devenant les doubles de ces hommes et de ces femmes afin d'éviter tous problèmes.
Nous avons rencontré le réalisateur lors de son retour du Festival international du film de Toronto, où Viking s'est mérité une mention spéciale au prix du meilleur long métrage canadien.
Ton précédent film, Tu dors Nicole, a pris l'affiche en 2014. Cela a pris huit ans avant que tu reviennes au cinéma, ce qui est plutôt long. Qu'est-ce qui s'est passé?
La vie. J'ai fait du montage pour d'autres. J'ai monté notamment Une colonie et La déesse des mouches à feu. Il y a eu un projet qui ne s'est pas concrétisé. Et il y a eu de la musique aussi. Avec mon band (Avec pas d'casque), on a fait des albums, des shows. Je n'ai pas vu les années passer.
Qu'est-ce qui t'a amené à jeter ton dévolu sur Viking?
Quand j'ai fini Tu dors de Nicole, j'avais l'impression d'avoir terminé un cycle de banlieue qui n'était pas prémédité. Il y a peut-être 12 ans, j'ai vu une expo de photos à New York d'un gars qui s'appelait Vincent Fournier. C'était des astronautes au milieu de paysages désertiques. Il y a quelque chose qui m'a vraiment interpellé là-dedans. Je pense que l'envie de faire un film qui tend vers la science-fiction est quelque chose que j'avais envie de faire depuis longtemps. On dirait que ces images-là me donnaient l'impression que c'était possible de le faire avec très peu de choses. Il y avait juste un humain en costume au milieu d'un décor vide.
Puis tu as découvert la Mars Society...
Oui. C'est une organisation qui a sa base dans le désert de l'Utah et qui fait des simulations martiennes. C'est un truc très sérieux, un peu scientifique, qui fait de la recherche sur le vivre ensemble. J'aimais cette idée de gens qui se dédient à quelque chose - ils suivent un protocole, ne sortent jamais dehors sans mettre leurs habits - en faisant semblant de le faire en même temps.
C'est le premier film que tu ne scénarises pas seul. Tu as travaillé avec Éric K. Boulianne, dont les précédents longs métrages scénarisés - Les barbares de la Malbaie, Menteur, Avant qu'on explose, De père en flic 2 et Prank - sont loin de ton univers. Pourquoi as-tu fait appel à lui? Tu sens que ce Viking est peut-être plus structuré que les précédents?
J'avais écrit une première version tout seul. J'avais tout le début, tout le concept et le point d'arrivée aussi. Mais l'escalier qui menait de l'un à l'autre était très chambranlant et il manquait des marches. Je suis plus instinctif, attiré par l'errance et le côté un peu plus poétique du cinéma. Alors qu'Éric est très rigoureux au niveau de la structure. C'est comme un bon menuisier. Il a commencé par remettre les choses aux bonnes places. Cela a créé des trous et ensemble, on a un peu construit ce qui manquait. C'est un film qui est coscénarisé au final. Il n'est pas juste venu faire une job de plâtre! (rires) Mais oui, je sentais que c'était un film qui avait besoin d'une progression dramatique plus claire que mes autres films. Ça demande un gros travail de garder le spectateur en haleine et que le concept ne s'essouffle pas.
En même temps, on reconnaît tous tes thèmes de prédilection: cette façon unique de sonder la condition humaine, ces personnages perdus un peu pathétiques et beaucoup de solitude. D'où vient-elle, cette solitude ?
Je pense que c'est notre condition, le seul ensemble. C'est ça la vie: d'apprendre à être bien tout seul. Mais aussi d'être capable de vivre en société, de faire preuve de bienveillance pour les autres. C'est cet équilibre-là qu'il faut trouver. Le vivre ensemble, ça m'intéresse beaucoup. C'est quelque chose que je pense souvent, tous les jours.
Avec ce sujet peut-être plus ambitieux que les précédents, est-ce que tu as abordé ta mise en scène différemment?
Non. C'est encore en continuité avec mes films précédents. C'est sûr que les grands espaces du désert nous permettaient du visuel que je n'avais jamais fait. Mais c'est toujours essayer de raconter des choses le plus simplement possible. C'est un défi, le minimaliste... C'est essayer de placer le spectateur au niveau de l'observation, comme si la caméra était dans un coin et on regarde ce qui se passe.
Tes longs métrages sont toujours classés comme des drames. Ils demeurent toutefois quelques-uns des longs métrages les plus drôles du cinéma québécois des 15 dernières années...
La comédie, j'essaye de l'aborder de situation. Ce que je dis aux acteurs, c'est de ne pas puncher. Si ça doit être drôle, ça va être drôle. Sinon, c'est parce que ç'a été mal écrit et on a raté notre coup. Évidemment, ils mettent du leur et ils peaufinent. Mais à la base, l'idée, c'est juste de jouer la situation. Ce sont des personnages qui se retrouvent dans des situations absurdes. Cela devient de l'observation et moi ça me fait rire. Parce qu'il y a de l'empathie là-dedans. Quand on voit un personnage qui se retrouve dans une situation niaiseuse qu'on a déjà vécue, on est capable de se projeter là-dedans.