Est-ce qu'il y a une actrice plus versatile que Sandrine Kiberlain? Qu'elle touche au drame ou à la comédie, ses performances brûlent l'écran, enflammant des films aussi différents que Chronique d'une liaison passagère, Novembre, Mademoiselle Chambon et 9 fois ferme.
Elle passe de l'autre côté de la caméra pour Une jeune fille qui va bien, un drame se déroulant pendant la Seconde Guerre mondiale en France et qui suit les aspirations artistiques et sentimentales d'une jeune fille juive de 19 ans (Rebecca Marder).
Cinoche.com s'est entretenu avec la comédienne en prévision de la sortie de ce très beau film...
Vous êtes actrice depuis plusieurs années. C'est toutefois le premier film que vous réalisez. C'est un rêve que vous caressiez depuis longtemps ou c'est venu par hasard?
Je ne crois pas que les choses arrivent par hasard quand on veut faire un film. Il faut tellement d'énergie. Je crois qu'à force de rentrer dans l'univers des autres, j'ai eu envie de filmer mon univers à moi. C'est venu progressivement avec mes expériences comme actrice. J'avais le désir de m'exprimer autrement et de diriger les choses.
Qu'est-ce qui vous a amené à poser votre regard sur cette histoire?
Je voulais parler du quotidien des gens avant que le monde bascule. Ça m'intéressait de me mettre à la place de ceux qui ont vécu l'horreur sans pouvoir l'anticiper. Nous, on sait aujourd'hui ce qui s'est passé. Mais c'était inimaginable à l'époque. J'aimais l'idée de me mettre à la place de cette fille qui sentait que quelque chose arrive, mais qui ne pouvait pas le mesurer au quotidien. Cette période-là m'a toujours obsédée depuis longtemps. J'espère qu'elle obsède tout le monde, car on n'a jamais compris pourquoi une telle folie a pu se passer. Je voulais y apporter un regard nouveau.
C'est un film sur la fin de l'innocence. C'était aisé de créer des liens concordants entre la fin de l'innocence de cette jeunesse et la fin de l'innocence de la France pendant la Seconde Guerre mondiale?
C'est surtout un film sur l'absurdité d'une folie. Ça touche à la fois le pays et les êtres humains, les habitants, le monde entier. Ça m'intéressait d'axer mon regard sur une héroïne pour parler en fait de tous les gens qui ont été touchés par cette folie. C'est la fin de l'innocence d'une jeune fille qui ne peut pas s'attendre à cette fin-là. Quand on est jeune, innocent et plein d'espoir, rien ne devrait arrêter cet espoir. Je me souviens quand j'ai lu Anne Frank. Je ne pouvais pas m'imaginer qu'en tournant la dernière page du livre, je n'aurais pas de page après. Et le film est un peu construit comme ça.
C'est un récit d'apprentissage sur les premières fois. De l'héroïne qui tombe en amour et qui éprouve du désir. Mais également de vous comme cinéaste. On sent une pureté dans votre démarche, une authenticité.
Rien ne m'arrêtait et je voulais faire le film que je voulais faire. Il n'y a qu'une première fois. Il faut la vivre à fond. Effectivement, je vivais tout ce que je sentais. Et tout ce que je sentais, je me l'autorisais.
C'est intéressant votre façon de traiter la romance. Elle n'est jamais kitch ou fleur bleue. Au contraire, il y a beaucoup de charme, comme cette scène sentimentale où vous utilisez une chanson du groupe Metronomy...
Je suis sentimentale moi-même. (rires) J'aime beaucoup les films qui amplifient les émotions. Mes scènes d'amour, je ne voulais pas que ça soit une scène de plus. Je voulais trouver une façon originale de la faire tomber amoureuse, de l'investir dans la relation, qu'elle invente quelque chose. On vit tous des histoires d'amour, elles ont été écrites 100 000 fois, mais ce ne sont jamais les mêmes.
Rebecca Marder est nommée aux Césars et aux Lumières comme révélation féminine. Qu'est-ce qui vous a amené à la choisir?
C'était vraiment la grosse question. La seule peur que j'avais, c'était de ne pas la trouver. Quand elle est rentrée dans le bureau, elle avait quelque chose qui faisait que j'avais envie de la connaître. C'est une rencontre. Après, évidemment, c'est son talent. Mais c'est aussi son allure, sa façon de ne pas être consciente de sa grâce, de sa beauté. C'est une actrice qui ne joue pas à l'actrice. Elle avait plus de désir que de peur.
Pourquoi camper son quotidien dans le monde du théâtre?
Quand on écrit pour la première fois, on parle de ce qu'on est, même sans s'en apercevoir. Ce film, il me raconte totalement. J'ai commencé comme l'héroïne par étudier au conservatoire. Je rêvais de jouer, de tomber amoureuse. Je me disais que j'allais parler de cet âge qui était un des plus fondateurs de ma vie. C'était comme une renaissance. Toutes les premières fois nous font renaître. Je me suis appuyé sur ce que je connaissais. Être actrice, c'est échapper à la réalité. C'était un bon moyen de montrer qu'à cette époque-là, elle s'éloignait du quotidien et de ce qu'elle ressentait par le jeu.
Vous trouvez régulièrement de beaux rôles au cinéma. Qu'est-ce qui guide vos envies d'actrice?
Les rencontres avec le cinéaste. Sa façon de m'embarquer dans son histoire, son aventure. C'est son énergie, son regard sur le monde, ce qu'il a envie de raconter. J'aime beaucoup ma vie. Si je la quitte pendant deux mois pour entrer dans la vie d'une autre, il faut que j'aie envie de faire confiance au réalisateur et de lui rendre la confiance qu'il me fait.
Quels sont les cinéastes que vous portez dans votre ADN?
Il y en a tellement. Je pense qu'on pourrait citer tous les films de François Truffaut. Je crois que j'aurais été amoureuse de lui. J'ai pensé à lui pour une scène dans mon film... Sinon, ça va de Noah Baumbach à Maurice Pialat, Alfred Hitchcock, Alain Resnais, Agnès Varda, Billy Wilder, Woody Allen, Sidney Pollack, Wong Kar-Wai, Jane Campion. Il y a tellement de noms à citer, c'est sans fin.
La plupart des cinéastes que vous venez de mentionner ont fait beaucoup de films sentimentaux...
Oui. C'est vrai que ce sont les films que je préfère. C'est comme les chansons. Ce sont les chansons d'amour que je préfère. Les films, c'est pareil. Pas forcément des films d'amour. Mais des films sur l'humanité, sur les gens, oui sur l'amour aussi.