De Ma vie en cinémascope à Eldorado, en passant par Sonatine, Emporte-moi, Un 32 août sur terre et Bootlegger, Pascale Bussières fait rayonner le cinéma québécois depuis près de quatre décennies.
Dans Frontières de Guy Édoin, elle campe une femme fragilisée qui tente de faire rouler la ferme familiale avec sa fille. Lorsqu'elle perd pied avec la réalité, ses soeurs (Christine Beaulieu, Marilyne Castonguay) et sa mère (Micheline Lanctôt) viennent à sa rescousse.
Nous avons rencontré l'actrice en prévision de la sortie de ce suspense qui marche dans les plates-bandes de M. Night Shyamalan...
Vous campez une femme blessée, enfermée, qui se sent menacée. Commet interprète-t-on ce type de personnages qui semble à la fois vivre dans le réel et dans son propre monde?
Il y a certains paramètres dans le film qu'on ne veut pas divulgâcher. Mais il y a un point de rupture et il fallait se rendre jusque-là en maintenant cette frontière entre le réel et le surnaturel où elle loge. Dans le jeu, il y avait une gradation de l'intensité. Plus elle s'approche de la vérité et plus la tension monte. On s'était donné une échelle de 0 à 10.
Il est rare que le septième art québécois explore ce genre...
Déjà les films de genre au Québec, il n'y en a pas tant. C'est comme si on avait boudé ça ou que ça appartenait à une autre culture. Ici, je dirais qu'on flirte entre le thriller psychologique, le film d'anticipation et l'horreur. C'était un très beau scénario sur un sujet qu'on aborde très rarement : une forme de déni à refuser la vérité.
Ce type de cinéma vous plaît?
Quand c'est bien fait avec intelligence, oui. Parce que justement, ça ne tombe pas dans les pièges surdimensionnés américains où on est comme dans une espèce de pastiche. C'est vraiment plus intéressant quand le surnaturel s'inscrit dans le réel, quand c'est crédible et vraisemblable.
Vous croyez à la dimension fantastique du récit?
Est-ce qu'on sent des choses? Honnêtement, ça m'obligeait à me poser des questions. J'aurais dû mal à réfuter complètement cette possibilité qu'on ait des signaux. Bien sûr, il faut leur donner beaucoup de sens. C'est ce qu'on fait dans la vie. On cherche un récit autour de ces phénomènes-là. Mais est-ce qu'on peut prouver hors de tout doute que ça n'existe pas? Hmm. Je pense que ça existe puisqu'on y fait référence, qu'on raconte des histoires autour de ça.
C'est votre troisième collaboration avec Guy Édoin, après Marécages et Ville-Marie.
C'est une vieille histoire qu'on poursuit. On a tourné à la campagne, dans sa maison familiale. Une maison qui est très habitée par les esprits. C'est quelque chose qui est très près de sa réalité... Je pense que Guy avait le goût de visiter un genre qu'il n'avait pas fait. C'est une façon de revisiter ce terreau-là qu'il connaît si bien en amenant ça dans un autre état. Et je pense qu'il y a chez lui une volonté d'avoir un cinéma très accessible, qui s'adresse à tout le monde.
Le film baigne dans un univers familial féminin qui rappelle la solidarité et la nécessité de créer des liens forts.
Oui. Les femmes sont de réels moteurs d'action. Elles ne sont jamais des faire-valoir. Elles sont vraiment au coeur du récit. Je pense que Guy s'inspire de sa propre famille. Des femmes fortes autour de lui qui gèrent des business et des fermes, qui ont un rapport aux éléments, à la vie, à la mort et aux armes qui sont les mêmes que les hommes... Ce sont les femmes qui tiennent le fort. Je pense que ce sont des guerrières là-dedans.
La mère est incarnée par Micheline Lanctôt qui est un peu la mère du cinéma québécois. C'est d'ailleurs elle qui vous a révélée à l'âge de 13 ans dans Sonatine, qui fêtera bientôt son 40e anniversaire...
C'est comme une mise en abyme. Je trouve que ce film-là célébrait un peu ça, en quelque sorte. Qu'elle fasse ma mère, alors que je la considère un peu comme ma mère spirituelle. C'est elle qui m'a mise au monde. Elle a été très déterminante dans ma vie. Et je trouve que dans le film Frontières, il y a une scène en particulier vers la fin où on est face à face. C'est vraiment hallucinant: 40 ans de ma vie sont contenus ou presque dans ce moment. C'est puissant. Quand on tournait, on mesurait cette affaire-là. C'est très émouvant de savoir qu'on est encore là, malgré toutes les batailles qu'on a livrées. Ce sont des métiers difficiles, qui demandent beaucoup de résilience et de souplesse.
Aujourd'hui, comment choisissez-vous vos rôles?
C'est souvent les individus qui sont derrière les projets qui motivent le choix. Parce qu'un scénario, évidemment, c'est la porte d'entrée. Mais ce n'est qu'une porte d'entrée. La vision peut tellement venir éclater la forme, aller dans des zones insoupçonnées. Des fois on se trompe. Mais j'ai rarement été déçue. Ça ne donne pas toujours de bons films nécessairement. À la rigueur, c'est comme si je m'en foutais. Je n'ai pas de contrôle là-dessus. Ma job est sur le plateau et mon plaisir est sur le plateau. C'est sûr que quand l'expérience élève et qu'on sent qu'on participe à quelque chose d'important, on a envie de célébrer ça. Il y a tellement de facteurs qui vont assurer le succès d'un film On est un maillon dans la patente. Mais j'ai toujours appris plein de choses sur chacun des tournages.
C'est ce qui est important.
Oui. À 54 ans, il y a des choses qu'on fait peut-être moins bien qu'avant. On se repose, on se reproduit, on se pastiche soi-même. Il faut être vigilant. Est-ce que je suis en train de m'imiter? Est-ce que je suis en train de tomber dans mes zones de confort? Évidemment, cela dépend comment tu es dirigé. Mais quand ça fait 40 ans que tu fais le métier, généralement tu connais un peu plus la poutine et tu connais ton instrument mieux que celui ou celle qui te dirige. Il faut être sincère face à soi-même.
Frontières prend l'affiche en salle le vendredi 3 mars.