Une année serait incomplète sans la sortie d'un nouveau film de Denis Côté. Dans son quinzième long métrage, le réalisateur québécois envoie son actrice fétiche Larissa Corriveau occuper des lieux déserts qui sont peut-être hantés. Relevant de l'expérimentation, Mademoiselle Kenopsia s'amuse à jouer avec les genres en mystifiant constamment le cinéphile.
Cinoche.com s'est entretenu avec le metteur en scène et son héroïne.
Tout d'abord, comment va la santé?
Denis Côté : Ça fait trois mois que j'ai reçu un nouveau rein. C'est un peu une nouvelle vie. Je pense que c'est une réussite.
De quelles façons sens-tu que ta santé précaire a pu influencer Mademoiselle Kenopsia? Car il est question de lieux que l'on occupe et, en filigrane, des traces qu'on laisse...
D.C. : Normalement, je pense que c'est un film que je n'aurais pas fait. J'étais trop malade. Après Un été comme ça, qui était un gros film avec une grosse équipe, j'avais envie de faire autre chose pour me changer les idées... C'est certain que la maladie a pesé dans la balance. Il est question dans le film du rapport au temps, du rapport à l'espace et une certaine promenade avec la mort. Pas que ça allait m'arriver, mais tu y penses toujours un peu à 10 % de fonction rénale.
Il y a également des traces de la pandémie...
D.C. : Oui. On a vécu dans des espaces clos pendant deux, trois ans, et on n'a pas compris à quel point ces espaces-là nous atteignaient inconsciemment. On était un peu comme dans des boîtes... Il y avait aussi une envie de travailler avec certaines personnes, de tourner sans réel scénario, dans des lieux dont je suis tombés amoureux. Quand on met tout ça dans la marmite, on n'est pas loin du film Lego ou laboratoire. Tu fabriques une chose à 10 000 $ et ça existe contre toutes attentes. C'est comme un petit film magique.
Larissa Corriveau : Denis m'a donné comme mandat d'occuper les lieux. (rires) C'était comme un exercice de non interprétation, Il y avait vraiment l'idée de jouer, d'avoir envie de faire quelque chose ensemble avec une petite équipe. Je suis allé chercher le costume chez Renaissance, je me coiffais dans l'auto avant d'arriver sur le plateau.
D.C. : Ces films-là ne se font plus maintenant. Pourquoi les cinéastes qui ont fait un film à trois, quatre millions de dollars ne réinvestissent pas un peu de leur salaire pour faire une chose sur laquelle ils expérimentent? Je trouve ça beau et libérateur. Même si ce sont des petits films un peu confidentiels, il ne faut pas que j'arrête de les faire.
L.C. : Ce sont comme des actes de résistance.
Une scène du film Mademoiselle Kenopsia - h264
Le long métrage est étonnant. Il débute de façon abstraite et austère près du cinéma d'observation à la façon de Bestiaire. Puis il devient soudainement verbeux comme Un été comme ça, avant de flirter avec l'horreur, la romance, le conte philosophique, etc. Il instaure un jeu ludique avec le spectateur.
D.C. : C'est sûr qu'il y a un patchwork de mes films d'avant. Tantôt, quand on parlait du contexte maladie et pandémie, il n'y avait pas de chance que je fasse un film sombre. C'est pour ça qu'il y a un réchauffement dans le film après 10-15 minutes. Cela devient complètement ludique avec quelques gags, la musique.
L.C. : Cela reste que, le processus, on l'a fait avec beaucoup de sérieux... Je pense que l'aspect artisanal est mis en valeur.
D.C. : Artisanal est le bon mot. Beaucoup de cinéastes pourraient s'asseoir et attendre d'avoir cinq millions de dollars pour faire leur prochain film. Pas moi. Mais il faut faire la différence entre le film étudiant fait avec des amis. Je fais quand même le film avec des ambitions, et il se place dans la continuité de ce que j'ai fait avant.
C'est le quatrième film que vous faites ensemble. Comment percevez-vous votre collaboration?
D.C. : Quand tu travailles avec un nouvel acteur, tu dois appendre à connaître la personne. Comme je ne fais pas beaucoup de répétition, je découvre au deuxième jour du tournage que cet acteur-là a besoin de beaucoup d'amour, ou qu'il propose autre chose parce qu'il ne connaît pas bien ses textes... Avec l'âge, j'ai compris pourquoi des cinéastes comme Truffaut ou Sautet avaient besoin d'une famille d'acteurs. Là, on dirait que je suis comme Fassbinder. Je commence à trouver ça important d'avoir une famille d'acteurs et de techniciens. C'est pas loin des vieilles pantoufles.
L.C. : J'adore!
D.C. : Quand on est jeune, on essaie tout. En vieillissant, on a des habitudes. Ça n'empêche pas que le film peut être aventureux.
L.C. : C'est drôle, c'est la première fois qu'on parle de nous mutuellement. Il y a quelque chose d'un peu paradoxal que j'aime beaucoup de travailler avec Denis. Chacun de ses films est en réaction avec la forme. Je ne sais jamais dans quoi j'atterris. Il n'y a pas de formule ou de méthode de travail que je peux appliquer.
D.C. : Mais on est toujours capable de se surprendre.
L.C. : Oui. Nous sommes deux artistes qui avons des perceptions très différentes des choses. Mais je pense qu'il y a une compréhension mutuelle dans le langage du cinéma. Par exemple, on ne trouve pas le personnage ou l'histoire avant de tourner et ça, j'aime vraiment ça. Cela amène une sorte de vertige. J'arrive au premier jour de tournage et je dois lui proposer quelque chose qui va fonctionner.
Comme l'année tire à sa fin, vous pouvez nous partager certains de vos coups de coeur cinématographiques de 2023?
D.C. : Les deux films qui me sont restés, ce sont The Human Surge 3 et N'attendez pas trop de la fin du monde de Radu Jude.
L.C. : Tu m'as volé les réponses. J'ai beaucoup aimé le film de Radu Jude. Je l'ai découvert comme cinéaste. Je trouve que c'est complètement éclaté au niveau de la forme. C'était très cinglant sans être cynique. Je trouve qu'il témoigne bien, avec beaucoup d'humour et d'amour pour l'humanité, d'un problème fondamental de notre époque.
Mademoiselle Kenopsia prend l'affiche le 8 décembre.
Une scène du film Mademoiselle Kenopsia - h264