Après avoir mis la main sur la prestigieuse Caméra d'Or en 2019 pour Girl, le cinéaste belge Lukas Dhont est de retour avec Close, une oeuvre magnifique qui a remporté le Grand prix au dernier Festival de Cannes et qui vient d'être nommé aux Oscars dans la catégorie du Meilleur film original.
Dans ce long métrage filmé à fleur de peau, l'amitié entre deux garçons de 13 ans est bouleversée par un événement tragique.
Cinoche.com s'est entretenu avec le réalisateur de 31 ans lors de son passage à Montréal en novembre dernier dans le cadre de Cinémania...
Il s'agit d'un film bouleversant. Comment arrive-t-on à transmettre une vaste gamme d'émotions sans tomber dans le mélo?
On dit toujours qu'on fait un film trois fois et qu'on le réécrit trois fois. On fait ça avec le scénario, puis sur le tournage et enfin pendant le montage. Je pense que dans tous ces endroits, il y a ces réglages de tonalité, de volume, de contraste, de contradiction pour arriver à obtenir ce qu'on désire.
Le sujet semble très personnel...
Je pense que c'est un film qui vient d'un endroit très profond en moi, qui est là depuis plusieurs années. Il est lié à l'enfant que j'étais. Un enfant qui était, à cause du corps dans lequel je suis né, en conflit avec la société. Parce qu'il y avait des attentes, des normes et des codes qui n'étaient pas les mêmes. Comme beaucoup d'entre nous, à un certain âge dans la puberté, j'ai commencé à avoir peur d'une certaine intimité et d'une certaine tendresse. Dans Close, je peux parler des choses dont je ne pouvais pas parler enfant ou ado. Ce film, c'est moi à 100 %.
On y aborde le désir chez les garçons, ce qui est plutôt rare...
Je pense qu'il y a des images dans Close dont nous ne sommes pas habitués de voir, qui sont moins représentées. Dans ce monde, on est beaucoup plus habitué à voir des images brutales liées à la masculinité que des images de tendresse. C'était un désir de ma part d'injecter de la tendresse dans l'univers masculin. Mais aussi parler de cette perte de tendresse et ce mouvement vers la brutalité. Dans notre société, on apprend aux jeunes garçons très tôt que l'émotion est liée à la féminité. Qu'il y a des traits comme l'indépendance et la compétitivité qui sont très valorisés. Pour moi, c'est important d'en parler et d'en montrer.
Vous traitez également de nombreux thèmes sensibles qui peuvent encore être tabous de nos jours...
Grâce au cinéma, je peux parler de choses que je ne pouvais parler quand j'étais jeune. Ces choses étaient tabous, que ce soit de parler d'intimité et de masculinité. Et je suis sûr que pour certaines personnes, c'est encore tabou... C'est vrai qu'il y a des thèmes plus sombres dans le film. Parce que le monde de l'enfance a été présenté comme une utopie. On voit beaucoup les couleurs et les fleurs. Mais on n'aime pas toujours regarder les ombres.
Si le long métrage est sombre, c'est généralement sa lumière qui a le dernier mot...
Autant dans ma vie personnelle que professionnelle, je suis quelqu'un qui cherche à trouver de la beauté dans tout. Même si je sens la nécessité de parler de la violence et de la souffrance, il faut essayer de regarder la beauté. Ma maman peignait tout le temps quand j'étais jeune et elle m'a appris à chercher la beauté. Donc les couleurs, les lumières, la beauté : pour moi c'est quelque chose qui est au centre de ce que j'ai envie de créer.
Votre film a remporté le Grand prix à Cannes en 2022 et plusieurs lui attribuaient la Palme d'Or, qui est allé à Triangle of Sadness, un choix plus politisé.
Je suis allé voir Triangle of Sadness à Gand, l'endroit où j'ai grandi. La salle était pleine et on a vécu une expérience collective que je n'ai pas vécue depuis trop longtemps. C'est un film hilarant, dégoûtant, qui te fait vivre plein de choses collectivement. Je me suis rappelé la beauté de regarder quelque chose en salle. Pour le cinéma, je trouve que c'est un film important. J'adore son réalisateur Ruben Östlund, la manière dont il regarde. Il te pousse, il est cynique. Il a un autre type de regard sur les gens que moi. Je cherche la douceur, la beauté. Lui il cherche le malaise, à choquer, à mettre le doigt sur la honte. Finalement, la honte est présente dans son univers et dans le mien, mais d'une manière différente.
Close représente la Belgique aux Oscars dans la catégorie du Meilleur film international...
Je suis très honoré d'être le représentant de la Belgique aux Oscars. J'ai grandi avec le cinéma américain. À l'âge de 12 ans, je me suis mis à tout filmer. Les Oscars étaient tellement le décor de mes rêves. Comme le dit Rose dans Titanic: « Tu peux être blasé sur beaucoup de choses, mais pas sur le Titanic ». Je ressens la même chose avec les Oscars.