Grâce à Dieu, Frantz, Dans la maison, Angel, La piscine, Sous le sable... François Ozon tourne plus vite que son ombre et il est en train de se construire une filmographie plus qu'appréciable.
Pour son 22e (!) long métrage, Mon crime, il s'intéresse au procès retentissant d'une jeune actrice (Nadia Tereszkiewicz, qui était la Babysitter du film de Monia Chokri) accusée du meurtre d'un célèbre producteur. Malgré la gravité du sujet, le traitement s'avère ludique et éminemment divertissant.
Cinoche.com s'est entretenu avec le cinéaste français où il a été question de relations de domination, du jeu d'acteurs, de ses casting cinq étoiles et, bien entendu, du pouvoir du cinéma.
De quelles façons sentez-vous que Mon crime vient boucler une trilogie entamée par Huit femmes et Potiche?
Quand j'ai terminé Mon crime, je me suis dit qu'il y avait un lien avec ses trois films: ils sont adaptés d'une pièce de théâtre, ils ont comme personnages principaux des femmes et ce sont des comédies. En réfléchissant, je me suis dit que Huit femmes était un film sur le renoncement du patriarcat, puisque c'est un homme qui se suicide et qui laisse les huit femmes ensemble. Potiche était un film sur l'avènement du matriarcat avec une femme qui prend le pouvoir au sein de sa famille et de l'usine de son mari. Quany à Mon crime, c'est un film sur le triomphe de la sororité des femmes qui comprennent que leur lutte doit être commune dans la complicité et le combat.
Vous adaptez une pièce de 1934 en la rendant contemporaine, notamment dans les rapports de pouvoir et de domination entre les hommes et les femmes. Qu'est-ce que cette modernité vous permet de faire?
En racontant cette histoire, je n'avais pas forcément envie de faire quelque chose de politique. J'avais surtout envie de faire une comédie et de parler d'une fausse coupable. J'aime beaucoup les histoires de faux coupables qui se dénoncent alors qu'ils n'ont rien commis. C'est toujours fascinant. J'avais également envie que ça résonne avec aujourd'hui. Je pense que l'affaire Weinstein et le #metoo ont vraiment ébranlé très profondément le milieu du cinéma. Les gens ont pris conscience à quel point il y a eu des abus de domination et de pouvoir, et qu'il y avait un système patriarcal dans le milieu du cinéma qui était très toxique et nocif... Le film a un fond grave et une forme légère. Parce que je pense que la comédie a un pouvoir très fort, à la fois politique et pour changer les esprits. Tout d'un coup, aborder des choses sur le fond de la comédie permet de rendre les choses plus faciles à comprendre et à accepter. Je pense qu'il y a beaucoup d'hommes misogynes qui le seront un peu moins après avoir vu mon film. En tout cas, je l'espère.
C'est par le mensonge que l'héroïne arrive à se libérer. Ce qui est un peu une métaphore du jeu d'acteur: arborer un rôle pour dire la vérité.
Le film parle vraiment de ce que c'est d'être un acteur et une actrice. La définition d'un acteur, c'est de jouer des émotions et des textes qui ne sont pas qui vous êtes. C'est un mensonge. Jouer la comédie, c'est mentir. En même temps, les gens ne sont pas dupes. Quand ils vont au cinéma, ils savent que les personnages qu'ils voient sur l'écran ne sont pas réels, qu'ils sont joués par des acteurs. Néanmoins, on a envie d'y croire. Les mensonges et, de manière plus symbolique et métaphorique, la fiction en général, nous fait du bien et nous aide à supporter le réel. Ce qui est beau, c'est que ce personnage, à travers le mensonge, découvre sa vérité.
La distribution qui comprend Isabelle Huppert, Dany Boon, Fabrice Luchini et André Dussollier est étonnante. C'était aisé d'obtenir votre casting de rêve?
Il me fallait de grands acteurs qui, en très peu de temps, amènent le personnage pour qu'on y croie tout de suite. C'est un texte assez compliqué, parce que c'est une langue assez fleurie qui correspond vraiment aux années 30. Il y a aussi un aspect théâtral. J'ai choisi des acteurs qui ont l'intelligence de savoir que ce n'est pas la longueur du rôle qui compte, mais la qualité. Et là, ils avaient des personnages savoureux à jouer, des dialogues très drôles à dire. Ils ont accepté très facilement.
Il y a une scène délicieuse entre Isabelle Huppert, qui interprète Odette Chaumette, une actrice célèbre au temps du cinéma muet, et Fabrice Luchini, un juge d'instruction. Deux immenses comédiens qui ont brièvement joué ensemble il y a 45 ans dans Violette Nozière, qui traitait d'un crime célèbre commis par une femme dans les années 30...
Je fais référence à Violette Nozière dans mon film. C'est pour ça que je me suis battu pour qu'Isabelle fasse le film. C'est la continuité avec Violette Nozière, le film de Chabrol que j'aime beaucoup. C'était amusant qu'Isabelle accepte de jouer ce rôle. Elle a beaucoup d'autodérision et pour moi, c'était très ironique de demander à une des meilleures actrices du monde de jouer le rôle d'une actrice complètement ringarde qui a été oubliée et qui essaye de faire son come-back coûte que coûte.
Votre mise en scène est particulièrement soignée. Les origines théâtrales et celles du vaudeville sont toujours là. En même temps, il y a un désir de rendre hommage au cinéma des années 30 et aux films muets. Votre long métrage prend ainsi la forme d'une lettre d'amour à un cinéma révolu.
Je pense que je fais partie de tous ces réalisateurs qui ont fait des films dernièrement qui parlent de cinéma, que ce soit Steven Spielberg avec The Fabelmans, Damien Chazelle avec Babylon et Sam Mendes avec The Empire of Light. Pourquoi autant de cinéastes font des films qui parlent du cinéma et de leur amour du cinéma? Je pense que pendant le confinement, on a tous eu peur que le cinéma disparaisse et que les gens ne retournent plus en salle... Il y avait un besoin chez beaucoup de cinéastes de dire notre amour pour le cinéma et la salle de cinéma, à quel point c'est important pour vivre des émotions de manière collective.
Votre premier long métrage, Sitcom, fête cette année son 25e anniversaire. Vous tournez pratiquement un film par année. Comment vous arrivez à maintenir une telle cadence, autant au niveau des idées que des financements? Car les cinéastes à le faire sont rares, si ce n'est Hong Sang-soo, Woody Allen à une autre époque et, bien entendu, Rainer Werner Fassbinder qui est décédé dans la fleur de l'âge.
Il y a d'abord le plaisir de faire des films et de raconter des histoires. C'est ça qui est le plus important. L'autre chose, c'est que je suis très proche de la production. Je connais le coût des choses. J'ai eu la chance de faire des films qui n'étaient pas des blockbusters, qui étaient dans des économies saines et qui ont rapporté suffisamment d'argent pour pouvoir faire le prochain. Tant que j'ai eu le succès qu'il fallait pour chaque film, ça me permet de pouvoir tourner.