Figure essentielle du cinéma français, François Cluzet interprète depuis plus de quatre décennies des rôles de gentils, que ce soit dans Intouchables, Médecin de campagne et La brigade.
Son image risque de changer avec L'homme de la cave de Philippe Le Guay, alors qu'il se glisse dans la peau d'un être inquiétant qui bouleverse l'existence d'un couple (Bérénice Bejo et Jérémie Renier). Un thriller psychologique sombre et implacable où le méchant fait littéralement le film.
Cinoche.com a pu s'entretenir avec l'acteur dans le cadre des Rendez-vous du cinéma français d'Unifrance...
Qu'est-ce qui vous a attiré dans L'homme de la cave, qui traite de sujets dans l'air du temps comme le négationnisme?
L'antisémitisme en France est en train de progresser de plus en plus. Il y a énormément d'histoires de complotisme, de fake news. Ça m'amusait et ça me plaisait beaucoup, politiquement, d'essayer de faire ce film dans le rôle du salopard. En tant qu'interprète, ces rôles-là sont souvent passionnants. Parce qu'on ne joue pas au héros, mais à l'antihéros si j'ose dire. Et puis il y a une vocation dans ce film de dénoncer l'antisémitisme, le complotisme et je trouvais que c'était vraiment le moment de faire le film.
Vous incarnez un personnage fascinant, complexe, qui est dans la nuance et l'ambiguïté. C'est quelqu'un de séducteur et il semble sincère, encourageant les gens à penser par eux-mêmes et à sortir des vérités de masse. Mais c'est également un être manipulateur, dangereux. Comment arrive-t-on à le rendre humain?
Je crois que l'interprète a le souci de la vérité. Personne n'est tout noir et personne n'est tout blanc. Quand je joue un héros, je cherche ses défauts et quand je joue un monstre, je cherche ses qualités. Ça donne une complexité et surtout de l'humanité. Ce type-là est monstrueux, mais beaucoup de gens m'ont fait la remarque comme quoi il était aussi touchant, voire séduisant. Je pense que grâce au script de Philippe LeGuay, on est arrivé à composer un personnage trouble... C'est comme lorsqu'on joue Richard III. Personne ne refuse ce rôle. Tous les interprètes aiment jouer les monstres, parce que c'est libératoire. Quand vous jouez un héros, vous vous accordez des qualités que vous n'avez pas. Mais quand vous jouez un monstre, il faut bien regarder à l'intérieur de soi, parce que même si ce sont de vieux souvenirs, on n'a jamais été parfait. Il faut donc chercher en soi une espèce d'introspection sur la violence, le dégoût, l'intolérance : tout ce que font ces personnages-là. J'avoue que c'est passionnant.
En regardant ce film, je me suis demandé pourquoi vous n'interprétez pas davantage des individus diaboliques et inquiétants. Car on vous associe davantage à des personnages empathiques, qui possèdent des failles, mais qui sont intègres.
Oui. Je suis bien de votre avis. Mais ils sont très rares ces personnages-là. C'est le deuxième que j'ai en 50 ans de carrière. Le premier c'était dans L'enfer de Chabrol où je jouais un psychopathe. La chance que j'ai, c'est que je peux passer du drame à la comédie et ça, c'est quelque chose dont je ne me prive pas. Justement, ça donne une aération dans l'étude des personnages. J'adore être ridicule, ça donne un bien fou. Cela nettoie l'ego. Quand je peux l'être, je suis fou de joie, comme dans Les petits mouchoirs. En même temps, L'homme de la cave est un contrepoint très noir. Mais finalement, ça donne cette chance d'être accessible un peu à tous les domaines, autant comique que dramatique. C'est plutôt une chance pour moi en tant qu'interprète. Je n'aimerais pas jouer toujours les mêmes choses. Faire toute ma carrière en tant que héros, ça m'emmerde profondément. De l'autre côté aussi, quand vous avez un physique très noir, faire toute sa carrière dans des monstres, ça ne doit pas être drôle. Je me dis que j'ai de la chance d'avoir un physique un peu moyen, au milieu. J'ai un physique un peu sympathique, je ne porte pas du tout la noirceur et la méchanceté sur mon regard. Donc ça devient d'autant plus intéressant de penser que ce type qui a l'air gentil, simple - parce que je le suis - puisse devenir d'un seul coup, grâce à son interprétation, un type qu'on a envie de tuer.
Comment le long métrage a été reçu en France?
C'était très bizarre. Les journalistes disaient: « On aime beaucoup le film, mais on ne sait pas comment en parler ». Ils étaient un peu emmerdés parce que ce n'est pas un film attrayant dans le sens du spectacle. C'est un film social politique. À notre époque, on se rend compte que le public ne cherche pas à se divertir. Il ne veut que se distraire, ce qui n'est pas la même chose. Se divertir, c'est prendre une autre voie. C'est s'asseoir dans un cinéma, être accaparé par une histoire qui dure une heure et demie et qui vous lave un peu le cerveau, où vous entrez avec vos problèmes personnels et vous ressortez avec autre chose. Mais là, maintenant, on a l'impression que c'est la distraction qui passe avant le divertissement.